Publié le 16 mars 2021
[Illustration : Puyo, Charles, Pontresina, vers 1895, Musée Nicéphore Niepce, Chalon-sur-Saône ]
Notre cycle sur « La participation au musée » (commissariat : Marie Ballarini et Maïlys Liautard) s’est poursuivi le 23 février 2021, réunissant à nouveau près de 75 professionnel.le.s, étudiant.e.s et chercheur.se.s sur Zoom-webinaire. Après avoir envisagé en janvier diverses actions participatives déployées « in situ » cette 2ème rencontre proposait d’explorer la participation au musée cette fois-ci « au prisme du numérique », à travers les interventions complémentaires de Sébastien Appiotti, Florence Raymond et Stéphane Degroisse. Nous vous en livrons ici une synthèse qui, nous l’espérons, vous donnera envie de (re)visionner la rencontre, disponible en intégralité sur notre chaîne YouTube !
Cette rencontre est partie d’un constat : la préoccupation participative grandissante au sein des musées (et, plus largement, de la société) n’est sans doute pas sans lien avec le développement des pratiques numériques en ce début de XXIe siècle. En effet, des réseaux sociaux au crowdfunding en passant par les contenus collaboratifs de type wikis, ce sont autant de pratiques qui voient la multiplication des interactions et des partages, doublée d’une légitimation de la parole, de la contribution de chacun.e, ancrant le participatif dans notre quotidien. Dès lors, de quelle façon les musées se saisissent-ils de ces outils, plateformes et réseaux numériques, pour engager une démarche participative avec leurs publics ? Quels sont les enjeux, les potentialités, mais aussi les difficultés et les limites de cette participation en ligne ? Telles sont les questions qui ont traversé les propos des intervenant.e.s lors de cette rencontre, tâchant tou.te.s trois d’adopter une posture réflexive à l’égard d’initiatives participatives numériques soit observées en tant que chercheur (Sébastien Appiotti – au Grand Palais), soit menées en tant que professionnel.le.s « chargé.e.s des nouveaux médias » (Florence Raymond – au Palais des beaux-arts de Lille, Stéphane Degroisse – au Musée des beaux-arts de Lyon).
Vers une injonction à la participation ? Les partages photographiques dans les expositions de la Rmn-Grand Palais, analysés par Sébastien Appiotti
Docteur en sciences de l’information et de la communication au Cemti (Université Paris 8), Sébastien Appiotti a développé une approche critique des médias et médiations numériques dans les institutions culturelles, à la croisée de l’anthropologie de la communication, de la socio-sémiotique et de la muséologie. Dans sa thèse soutenue en 2020, il s’est intéressé en particulier aux partages photographiques des visiteurs dans les expositions de la Rmn-Grand Palais, à travers lesquelles il questionne une certaine « injonction à la participation ». C’est de ce terrain d’enquête et de son analyse que le chercheur nous a fait part, invitant les professionnel.le.s à réfléchir à leurs représentations et pratiques de la participation. Son intervention apportait en effet de précieux éléments de contexte, présentant le paradigme actuel de la participation au musée comme héritier d’un triple tournant, des années 1990 à 2010 : gestionnaire, communicationnel, et « photographique ». Ce dernier est au cœur des recherches doctorales de Sébastien Appiotti, qui conceptualise ainsi ce glissement depuis l’interdiction de photographier au musée jusqu’à son acceptation, devenue même encouragement à la prise de vue, à la créativité et au partage. L’évolution de la législation en témoigne (ainsi la charte « Tous photographes ! » en 2014), et cela se traduit en pratique par une signalétique assortie de hashtags invitant à photographier et relayer sur les réseaux sociaux, une scénographie appelant la mise en scène du visiteur lui-même, des photomatons connectés et des applications mobiles interactives, ainsi que des écrans de data-visualisation de cette participation. Autant de dispositifs incitatifs repérés par Sébastien Appiotti au sein des expositions de la Rmn-Grand Palais, depuis « Dynamo » en 2013 identifiée comme pionnière en la matière.

Si la pratique photographique des visiteurs peut relever d’une forme de médiation, constituant « un vecteur d’appropriation des œuvres », l’injonction forte au partage s’ancre ici davantage dans une « stratégie communicationnelle », voire économique et politique – liée au positionnement propre à la Rmn-Grand Palais, et notamment à la volonté de renvoyer une image institutionnelle « innovante ». Sans pour autant généraliser l’analyse, spécifique au cas étudié, l’intervention de Sébastien Appiotti amène à s’interroger sur le statut de la participation photographique, à décrypter les injonctions (1) et les enjeux qui la sous-tendent, afin de développer des actions conscientes des objectifs poursuivis et du degré de participation des publics (2) .
> Téléchargez ici le PowerPoint présenté par Sébastien Appiotti, et retrouvez le contenu détaillé de son intervention dans un article rédigé par ses soins , enrichi de références complémentaires.
La démarche de « numérique participatif » du Palais des beaux-arts de Lille, présentée par Florence Raymond
Au-delà des partages photographiques encouragés sur ses réseaux sociaux, le Palais des beaux-arts de Lille déploie une démarche plus globale de « numérique participatif », veillant à associer les publics et à prendre en compte leur participation. Attachée de conservation chargée, entre autres choses, des nouveaux médias, Florence Raymond est revenue sur cette méthodologie participative développée depuis 2013 : s’inscrivant dans l’esprit du projet scientifique et culturel du PBA , attentif à l’expérience des visiteurs, sa mise en œuvre répondait également au besoin de « questionner les intentions profondes des projets » et de « réinjecter du sens » – plus encore dans un contexte budgétaire contraint. Il s’agit concrètement, en amont de tout projet structurel, de consulter les publics par la sollicitation de comités d’usagers : « se réunir et générer une idéation autour d’un sujet », tel est l’objectif de ces « focus groupes » qui permettent d’établir un diagnostic préparatoire… à condition bien sûr d’être en mesure d’entendre et de prendre en compte « les critiques positives, comme négatives ! » Florence Raymond a insisté sur ce point : cette méthodologie précise requiert une formation et un accompagnement des équipes, en plus d’être exigeante en termes de temporalité et de disponibilité. Elle est en revanche « peu budgétivore », et surtout permet d’aboutir à des dispositifs pertinents répondant aux attentes effectives des publics. Parfois différentes des attentes supposées, a précisé Florence Raymond : l’occasion de remettre en question certaines catégorisations selon les typologies d’usagers, et d’aller davantage vers une forme de « design pour tous ». La refonte du site web (2015-2017) fut le premier terrain d’expérimentation de cette méthodologie, donnant d’ailleurs lieu à des propositions participatives sur pba.lille.fr , déclinées sur des dispositifs numériques in situ lors du réaménagement de l’« atrium » en 2017. Citons la possibilité de créer son propre parcours de visite personnalisé, ainsi qu’un livre d’or numérique permettant le partage de commentaires, d’émotions, de photographies.

C’est sur ces partages photographiques que Florence Raymond s’est attardée dans un second temps, évoquant d’abord les « Instameet » organisés chaque année au PBA depuis 2015 : outre les publications sur Instagram, cet événement donne lieu à une exposition au sein du musée et dans la station de métro voisine, afin de valoriser le regard porté sur le musée par les instagrameurs. De même, le challenge #Tussenkunstenquarantaine, lancé durant le confinement du printemps 2020, est venu se matérialiser à l’intérieur du musée : les réinterprétations créatives des publics ont été exposées à l’automne à côté des œuvres, avec un vernissage réunissant l’ensemble des participants, et par la suite la publication de leurs témoignages / making-of sur le compte Instagram du PBA.

Répondant au propos de Sébastien Appiotti, ces deux exemples montrent comment une institution muséale peut s’emparer d’une participation photographique numérique, spontanée ou suscitée, non seulement dans une visée communicationnelle, mais dans la perspective d’encourager et valoriser l’appropriation du musée et des collections par les visiteurs. Florence Raymond a terminé son intervention sur une autre forme de participation photographique, dans le cadre du projet « WikiMuseum » lancé en 2016 en partenariat avec Wikimedia France. Sous le slogan « Ensemble, écrivons l’histoire de notre musée », le PBA appelait à une mise en ligne de photographies prises au musée, souvenirs de visite ou archives personnelles (3) , sur la plateforme Wikimedia Commons.

A l’inverse des autres initiatives du PBA, cette collecte contributive s’est toutefois essoufflée, en l’absence d’un référent au sein du musée pour « faire vivre » le projet : celui-ci ne peut « s’auto-alimenter », a constaté Florence Raymond, et l’effort wikipédien nécessite d’être soutenu également en interne, sur le long-terme. Ce qu’ont confirmé Stéphane Degroisse et le wikipédien Lucas Lévêque dans l’intervention suivante : il faut « un relais moteur » au sein de l’institution, « pour ne pas perdre la dynamique ».
> Retrouvez ici le PowerPoint illustrant l’intervention de Florence Raymond.
Développer le web collaboratif avec la communauté wikipédienne, une initiative du Musée des beaux-arts de Lyon portée par Stéphane Degroisse
Chargé du site internet et des nouveaux médias au Musée des beaux-arts de Lyon, Stéphane Degroisse a développé depuis 2014 une collaboration avec la communauté wikipédienne locale, qu’il nous a présentée lors de cette rencontre. Il est intéressant d’observer que cette initiative n’est pas née d’une volonté participative, mais d’un enjeu communicationnel doublé d’une exigence scientifique, dans un souci d’ « e-réputation » : l’objectif initial du musée était d’accroître sa visibilité et de maîtriser sa présence « qualitative » sur l’encyclopédie la plus utilisée par les internautes. Stéphane Degroisse a rappelé les statistiques de consultation des pages Wikipédia consacrées aux œuvres et artistes du musée, bien supérieures à celles du site mba-lyon.fr. D’où le souhait du musée de s’assurer de « l’exactitude des informations », d’ « éliminer les erreurs », de « sourcer », mais aussi de nourrir cette encyclopédie libre en complétant l’existant et en créant de nouveaux articles – un travail titanesque impossible à mener seulement en interne, d’autant plus qu’une contribution exclusivement institutionnelle serait incompatible avec la philosophie même de Wikipédia. C’est pourquoi le musée a pris contact avec les wikipédiens lyonnais, point de départ d’une coopération faite d’« éditathons » annuels, en écho aux expositions. Ainsi, durant 1 à 2 journées dédiées, une quinzaine de wikipédiens sont accueillis au musée dans une ambiance conviviale : après une visite de l’exposition par le conservateur, ordinateurs et ressources documentaires sont mis à leur disposition, nous a expliqué Stéphane Degroisse. Préalablement formés à la contribution par la communauté, accompagnés sur place par un médiateur et un documentaliste, les wikipédiens se lancent alors dans un « marathon » de création, modification et amélioration d’articles en lien avec la thématique de l’exposition, sans oublier la prise de photographies ensuite versées et catégorisées sur WikiCommons.

Bien qu’initialement dépourvue d’intention participative, cette entreprise par essence « contributive » a de fait pour conséquence la participation active des membres de cette communauté, qui s’approprient le musée et ses œuvres par ce biais. A noter les profils très variés des wikipédiens lyonnais : informaticien, retraité, enseignant, documentaliste, étudiant, photographe, ou encore salarié dans un magasin de bricolage… de 20 à 90 ans ! D’après les témoignages recueillis par Stéphane Degroisse, tous n’étaient pas familiers du musée jusque-là, certains l’ont même découvert à cette occasion ; et se sont mis dès lors à le fréquenter davantage, à « passer plus de temps au musée ». Un wikipédien affirme être « passé de spectateur passif à très actif », « [lisant] désormais des ouvrages sur le sujet », tandis qu’un autre parle d’une « appropriation du contenu du musée petit à petit », de « liens importants tissés au fur et à mesure ». Parmi eux, Lucas Lévêque (4) en a même fait son métier, accompagnant désormais les institutions dans une telle démarche partenariale. Car l’initiative du Musée des beaux-arts de Lyon a créé une dynamique sur le territoire (avec des projets développés dans les bibliothèques lyonnaises, aux archives municipales et départementales, au Musée Gadagne…) et essaime aussi ailleurs (5) : retrouvez tous les projets lancés par les institutions culturelles et muséales françaises sur la page GLAM-Wikimedia (Galleries, Libraries, Archives and Museums).
> Téléchargez ici le PowerPoint accompagnant l’intervention de Stéphane Degroisse.
L’équipe de Mêtis remercie à nouveau chaleureusement les trois intervenant.e.s, ainsi que l’ensemble des participant.e.s du webinaire.
Notes
(1) Sur la question des injonctions, lire également l’article de Sébastien Appiotti et Eva Sandri : « « Innovez ! Participez ! » Interroger la relation entre musée et numérique au travers des injonctions adressées aux professionnels », Culture & Musées, 35 | 2020, 25-48. http://journals.openedition.org/culturemusees/4383
(2) Lors du temps d’échanges final a émergé la question des enquêtes menées auprès des publics sollicités lors de ces initiatives participatives numériques. Sébastien Appiotti a notamment renvoyé vers l’ouvrage : CHAUMIER Serge, KREBS Anne et ROUSTAN Mélanie (dir.), Visiteurs photographes au musée, La Documentation française, 2013. Entre autres, Noëmie Couillard y propose un article intitulé « Les concours photographiques ou les ambiguïtés de la participation des visiteurs ». Sébastien Appiotti a également évoqué le colloque consacré à « La fabrique de la participation culturelle. Plateformes numériques et enjeux démocratiques », organisé par l’Université Paris-Nanterre en novembre 2020, https://collabora.sciencesconf.org/resource/page/id/1 Retrouvez les actes du colloque au format PDF ici : https://collabora.sciencesconf.org/data/pages/Actes_FabriqueParticipationCulturelle.pdf
(3) L’opération Wikimuseum est présentée dans une vidéo réalisée par le Master Expographie Muséographie de l’Université d’Artois : http://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/1369-operation-wikimuseum-au-palais-des . Lors du temps d’échanges final, d’autres initiatives similaires ont été évoquées, en particulier le projet « Photos-souvenir » lancé en 2014 par le Château de Versailles : http://photosouvenir.chateauversailles.fr/fr/le-projet?retour_url=timeline
(4) Très actif dans le « chat » du webinaire, Lucas Lévêque a notamment partagé des liens fort intéressants concernant les « Wikimédiens en résidence », que voici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikim%C3%A9dien_en_r%C3%A9sidence https://outreach.wikimedia.org/wiki/Wikipedian_in_Residence https://fr.wiktionary.org/wiki/Projet:Wiktionnariste_en_r%C3%A9sidence/fr
(5) Une participante au webinaire nous a transmis une ressource précieuse sur la question : un livre blanc réalisé par les élèves de l’ICART, intitulé « Penser Demain. L’Open Innovation dans les Musées & Institutions Culturelles », bit.ly/2MlfSvN. On y retrouve les interviews de Lucas Lévêque mais aussi de Xavier Cailleau (chargé de mission partenariats à Wikimédia France), ainsi que de Céline Chanas et Elisabeth Renault, directrices respectives des Musées de Bretagne et de Saint-Brieuc, au sujet de l’Open Access et des collaborations avec Wikipédia.
Pour citer cet article : LIAUTARD, Maïlys. 2021. Compte rendu de la Rencontre Muséo du 23 février 2021 : La participation au musée au prisme du numérique., Metis Lab, publié le 16 mars 2021. Disponible sur :
metis-lab.com/2021/03/16/compte-rendu-de-la-rencontre-museo-du-23-fevrier-2021-la-participation-au-musee-au-prisme-du-numerique/
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