Compte rendu de Rencontre

La participation au musée in situ : entre performances, expositions et médiations participatives.

Liautard, Maïlys

[Illustration : Adriaen van de Venne,  A Jeu de Paume Before a Country Palace, vers 1614, Los Angeles, Getty Museum, Collection en ligne]

Le 26 janvier 2021 se tenait la 1ère rencontre du cycle « La participation au musée » organisé par Mêtis (commissariat : Marie Ballarini et Maïlys Liautard). Près de 70 professionnel.le.s de musées, étudiant.e.s et chercheur.se.s en muséologie étaient au rendez-vous sur Zoom-webinaire, pour écouter Sylvain Amic, Simon Gauchet et Muriel Molinier. Un tel engouement témoigne de l’actualité du sujet, et de l’intérêt qui lui est porté. En plus d’une captation en ligne sur notre chaîne YouTube, nous vous proposons ici un compte-rendu de cette rencontre riche en expériences et réflexions passionnantes !

La rencontre s’est ouverte sur quelques éléments introductifs, resituant la thématique du cycle dans son contexte. L’occasion de rappeler l’héritage des écomusées, précurseurs dès les années 70 en matière de participation des habitants (lire à ce sujet Le Musée participatif, l’ambition des écomusées, ouvrage collectif dirigé par Alexandre Delarge). Mais surtout de souligner l’actualité du sujet, qui préoccupe aujourd’hui l’ensemble des musées, s’inscrivant dans la lignée des droits culturels et notamment du droit de participer à la vie culturelle (Déclaration de Fribourg, 2007). Intégrés en France à la loi NOTRe en 2015, les droits culturels sont au cœur de la mission « Musées du XXIe siècle » qui, en 2017, observe cette évolution vers un « musée citoyen, inclusif et collaboratif », et encourage le développement d’une « culture participative ». Ce n’est sans doute pas un hasard si le qualificatif « participatif » est également intégré à la nouvelle définition du musée proposée par l’ICOM à Kyoto en septembre 2019. Dans cette perspective, les publics sont moins considérés comme destinataires passifs que comme acteurs – actifs de leur découverte au musée, de leur appropriation des collections, mais aussi potentiellement de leur valorisation, de leur exposition, de leur médiation. 

Tel est le point de vue partagé par les trois intervenant.e.s, qui l’ont éclairé chacun.e à leur manière, à partir de leurs expériences respectives. Entre performances muséographiques participatives (Simon Gauchet), médiation participative et inclusive (Muriel Molinier), exposition collaborative et même projet de musée concerté (Sylvain Amic), diverses formes de « participation au musée » nous ont ainsi été présentées, invitant les publics à s’impliquer in situ… à différents degrés, et de multiples façons !

Le Musée Recopié et L’Atlas des sociétés futures, des performances muséographiques participatives présentées par Simon Gauchet

Acteur et metteur en scène, Simon Gauchet est le co-fondateur et directeur artistique de l’École parallèle imaginaire, une structure de création qui propose notamment des « performances muséographiques participatives ». Dans des musées de beaux-arts, Le Musée Recopié convie une centaine de copistes amateurs à réinterpréter l’intégralité des collections permanentes le temps d’un week-end, avant de s’en faire les médiateurs dans « leur » Musée imaginaire du XXIe siècle… tandis que dans les musées de société, L’Atlas des sociétés futures invente une fiction où les visiteurs devenus ethnologues sont invités à imaginer l’histoire d’objets conservés par le musée, et à écrire ensemble leur propre récit de société. Simon Gauchet est revenu sur l’origine, les objectifs et le déroulement de ces performances-expériences, qui visent à encourager une (ré)appropriation active et vivante, à la fois personnelle et collective, d’un patrimoine commun. 

> Retrouvez ici un compte-rendu détaillé de l’intervention de Simon Gauchet, accompagné des vidéos présentées lors de la rencontre. 

Médiation participative et inclusive, une initiative du Musée Fabre analysée par Muriel Molinier

Docteure et enseignante en SIC / Muséologie à l’Université Paul Sabatier Toulouse 3, Muriel Molinier a consacré sa thèse à La voie de l’inclusion par la médiation au musée des beaux-arts : des publics fragilisés au public universel. Dans le cadre de cette recherche, elle s’est notamment intéressée à l’implication d’une visiteuse non-voyante au Musée Fabre, dans la co-construction de la médiation de l’exposition « L’art et la matière » en 2017. Après un cadrage théorique fondé sur The participatory museum de Nina Simon (2010), la chercheuse nous a livré son analyse de cette initiative entre participation et inclusion, sans en éluder les difficultés et les limites. 

> Retrouvez une synthèse de l’intervention de Muriel Molinier dans un article rédigé par ses soins, enrichie par un focus sur une autre forme de médiation participative qu’elle a également étudiée, Museomix : « Mettre en commun pour se rencontrer et inclure ? Focus sur les médiations participatives du musée Fabre et de Museomix ».

De la Chambre des Visiteurs à Beauvoisine, les projets participatifs des Musées de Rouen détaillés par Sylvain Amic

Figure majeure de la réflexion sur les « Musées du XXIe siècle », Sylvain Amic est depuis 2011 à la tête des musées de Rouen, où il a impulsé plusieurs projets participatifs dans la perspective de permettre aux citoyens de « s’emparer » d’un patrimoine qui est le leur. Ainsi, chaque année depuis 2016, La Chambre des Visiteurs invite la population à choisir dans les réserves les œuvres qu’elle souhaite voir, donnant lieu à une exposition dont le public est « co-commissaire ». Afin de tisser une relation plus durable avec ces visiteurs-participants, la Réunion des Musées Métropolitains de Rouen a en outre créé une plateforme numérique spécifique baptisée « Club des visiteurs ». En parallèle se déploie le projet Beauvoisine, qui invente un nouveau musée – lieu de vie en concertation avec les habitants, intégrant le regard des visiteurs au sein même du musée. Sylvain Amic nous a fait part de la genèse et des enjeux de ces trois initiatives enthousiasmantes.

> Retrouvez ici un compte-rendu détaillé de l’intervention de Sylvain Amic, accompagné du PowerPoint présenté lors de la rencontre.

Questionnements, réflexions et prolongements 

Les trois interventions ont suscité de nombreuses questions de la part des auditeurs.trices du webinaire, amenant chacun.e à apporter des compléments, mais aussi à approfondir la réflexion au fil d’échanges très riches. Sans en retranscrire l’intégralité (à réécouter ici), ce compte-rendu retient quelques interrogations centrales lors de ce temps de discussion final, correspondant à des difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre d’actions participatives. 

> Des résistances du côté des équipes des musées, voyant leur expertise remise en cause ? 

Plusieurs questions ont pointé « un retard » des musées en matière de participation (par rapport aux bibliothèques, aux centres de culture scientifique, au monde du théâtre…) : celui-ci s’expliquerait-il par une « sacralisation des savoirs » voire une « rétention » de ceux-ci, liées à « l’expertise associée à ces métiers » ? Simon Gauchet a en effet évoqué une directrice « peu à l’aise avec l’idée de présenter des dessins d’amateurs aux côtés de chefs-d’œuvre » dans le cadre du Musée Recopié, tandis que Muriel Molinier s’est demandée s’il y avait « remise en question de l’expertise du médiateur » lorsque la médiation se trouvait confiée au visiteur lui-même. Le directeur des musées de Rouen a également signalé des « débats en interne » lors de la genèse des initiatives participatives, telles des « résistances » face à une menace de « dépossession ». Pour Sylvain Amic, les professionnel.le.s de musées sont de fait détenteurs « d’un savoir qui n’est pas très partagé », et « abusent peut-être parfois » de la « très grande confiance » qui leur est accordée (non sans lien avec un enseignement très restreint de l’histoire de l’art, quasi absente des programmes scolaires). Or, le patrimoine conservé dans les musées étant « un bien commun, comme l’eau, comme l’air », les citoyens sont plus que légitimes à « s’en emparer » et y « apporter [leur] pierre ». Ce qui ne signifie pas pour autant « dépouiller » les professionnel.le.s de leur « expertise », terme que Sylvain Amic s’est attaché à redéfinir : une garantie d’ « informations fiables et vérifiées » parce que « confrontées aux avancées scientifiques », dispensées par des spécialistes « de référence ». Loin d’être menacée, cette expertise constitue « un recours » plus que jamais essentiel, à l’ère des réseaux sociaux et des fake news ; cette expertise ne doit cependant « pas s’exercer de façon descendante et unilatérale », et interdire à d’autres regards de s’exprimer. Elle est d’ailleurs elle-même multiple, selon le domaine d’expertise de chacun : de même que plusieurs regards experts peuvent cohabiter sur un même objet, ce dernier ne peut que s’enrichir des regards des publics. Entreprendre une démarche participative présuppose ainsi d’accepter que « nous [professionnel.le.s] ne [soyons] pas les seuls détenteurs du discours sur les objets », a insisté Sylvain Amic. Et cela peut nécessiter d’accompagner les équipes vers cette vision, en croisant d’ores et déjà les regards en interne, dans une « expertise co-construite ». 

> Des réticences du côté des publics, entre timidité et risque d’exploitation ?

Des freins à la participation existent aussi du côté des publics, qu’il est parfois difficile de mobiliser. Sylvain Amic a ainsi pointé une certaine « timidité » des citoyens, reconnaissant qu’il n’était pas évident de passer « d’une communauté qui vote » (dans le cas de La Chambre des visiteurs) à « une communauté qui s’implique » concrètement au musée. Dès lors, comment permettre la participation au sens plein des droits culturels, avec l’implication d’un public nombreux et diversifié, et non seulement circonscrit aux habituels habitués des musées ? A cette question, Sylvain Amic propose de distinguer « participation » et « engagement », qui est pour lui l’étape suivante, requérant « de se projeter hors-les-murs » pour sortir d’une certaine « zone de confort ». Le projet Musée comme chez soi du Musée d’Ixelles en est à ses yeux une belle illustration. 

Inversement, lorsque les publics participent avec zèle à des projets co-construits, comment s’assurer que les musées n’exploitent pas ces « experts de l’expérience vécue », offrant gratuitement leurs avis et conseils ? Judicieuse question posée par une auditrice, à laquelle Muriel Molinier et Sylvain Amic ont répondu en invoquant la culture anglo-saxonne, dont le bénévolat et l’engagement associé font partie intégrante, tandis qu’ils sont souvent « suspects en France », objet d’une critique « d’expertise gratuite ». Afin d’éviter toute équivoque, il apparaît essentiel de bien définir en amont le cadre de la participation, s’inscrivant nécessairement dans un rapport « gagnant/gagnant » entre institution et publics. Il s’agit là de distinguer clairement « l’engagement bénévole » d’une contractualisation avec rémunération qui suppose des livrables, des attendus et une responsabilité toute autre.

Autant de difficultés, réticences et résistances, qui peuvent être soulevées par la participation des publics… mais également surmontées, comme l’ont souligné les trois intervenant.e.s. Les initiatives présentées le démontrent, se rejoignant sur trois enjeux fondamentaux et indissociables : la prise de conscience d’un patrimoine comme bien commun appartenant à tous les citoyens, la légitimité de chacun à se l’approprier et en devenir acteur, la redéfinition du positionnement du professionnel-expert et de ses missions à l’égard du patrimoine comme des publics. Un rôle résumé en ces mots par Sylvain Amic : « transmettre non seulement un patrimoine, mais la volonté de s’engager en faveur de ce patrimoine » pour en faire « un bien commun approprié et reconnu par tous ».

L’équipe de Mêtis remercie à nouveau chaleureusement les trois intervenant.e.s, ainsi que l’ensemble des participant.e.s du webinaire.

1 réflexion au sujet de “La participation au musée in situ : entre performances, expositions et médiations participatives.”

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