Compte rendu de Rencontre

L’écriture spatiale du musée et de son exposition : Compte rendu de la Rencontre muséo IDF, 2022

Publié le 20 juin 2022

[Illustration : Service Photo de l’Ecole de l’Air, Paris, La Tour Eiffel, juillet 1938, Chalon-sur-Saône, Musée Nicéphore Niépce]

Gobbato, Viviana / Leal, Ana

Introduction

Carrefour d’arts et de métiers de l’exposition, le musée existe en tant que contenu et contenant. L’architecture, la scénographie, les dispositifs de médiation, le mobilier, le graphisme, l’éclairage contribuent tous — autant que la collection exposée — à déterminer un espace signifiant. Cet espace participe aussi au propos scientifique, influence l’expérience esthétique et contribue à la construction de sens du visiteur. Dans cette perspective, quels éléments permettent l’écriture spatiale du musée et de son exposition ? Dans quelle mesure influence-t-elle l’expérience visiteur ? « Faut-il connaître la muséologie ou l’expologie pour réaliser une exposition », au sens de (Desvallées, Schärer, Drouguet, 2011, 133) ? Ce compte rendu présente quelques enjeux développés à l’occasion du cycle « L’écriture spatiale du musée et de son exposition » pour la Rencontre muséo à Paris, organisé par Viviana Gobbato et Ana Leal.

Lors des trois rencontres à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle, les regards croisés des chercheur.se. s et des professionnel.le. s invité.e.s ont été mis en perspective avec trois thématiques : la muséographie, c’est-à-dire « l’ensemble des techniques développées pour remplir les fonctions muséales et particulièrement ce qui concerne l’aménagement du musée, la conservation, la restauration, la sécurité et l’exposition » (Desvallées, Mairesse, 2010, 53), la scénographie, « entendue comme l’ensemble des techniques d’aménagement de l’espace » (Ibid., 54) et les dispositifs de médiation, c’est-à-dire « toute une gamme d’interventions menées en contexte muséal afin d’établir des ponts entre ce qui est exposé [le voir] et les significations que ces objets et sites peuvent revêtir [le savoir] » (Ibid., 45) — et plus particulièrement les dispositifs sensoriels. Plusieurs exemples issus de l’expérience de nos interventant.e.s ont été évoqués, ouvrant à la perspective d’un espace muséal autant influent que son contenu.

Conférence 1 — L’architecture et le musée, 12 avril 2022

La première séance était consacrée à l’architecture muséale et à la muséographie. Nous avons eu le plaisir d’accueillir Adeline Rispal, architecte, muséographe et scénographe, fondatrice des Ateliers Adeline Rispal et vice-présidente fondatrice de XPO Fédération des concepteurs d’expositions, Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des monuments historiques et inspecteur général des monuments historiques de l’Agence Pierre-Antoine Gatier, ainsi que Marie Civil, docteure en histoire de l’art et directrice d’Archipel Centre de Culture Urbaine à Lyon. Quel est le rôle de l’architecte-muséographe ? Comment définir un projet scientifique de restauration du patrimoine-musée ? Quelles sont les typologies architecturales muséales ? En suivant ces lignes directrices, il a été question de réfléchir au réaménagement de sites muséaux, à la définition d’un projet scientifique de conservation et de restauration du patrimoine, ainsi qu’à la manière dont cette enveloppe spatiale contribue à l’expérience et à la construction de sens des visiteurs d’un musée.

Adeline Rispal nous a présenté une vision holistique de la relation entre l’espace muséal et le visiteur. Pour ce faire, elle a notamment décrit son projet du Makkah Museum, La Mecque, en Arabie Saoudite (2015). Le concept architectural et la scénographie de ce musée illustrent tout particulièrement la philosophie de son approche — qui considère l’espace architectural et muséographique comme une médiation sensible (Rispal, 2009). Pierre-Antoine Gatier a quant à lui développé la notion de restauration liée à l’identité du lieu. L’architecte, spécialisée dans la restauration des monuments historiques, a particulièrement exposé ses projets au Domaine de Chantilly et aux villas La Roche-Jeanneret réalisées par Le Corbusier (Gatier, 2017). Chaque projet nécessite en effet des choix de restauration, qui sont issus de l’étude approfondie d’archives et de la politique patrimoniale de l’institution conservant le lieu. Marie Civil a enfin présenté quelques éléments de ses travaux de recherche doctorale sur l’histoire de l’architecture muséale moderne et contemporaine (Civil, 2019). Au travers d’une approche diachronique, la chercheuse a spécialement souligné les motifs architecturaux qui composent traditionnellement le musée — tels que l’escalier, la façade et la rotonde —, et qui continuent par ailleurs d’influencer l’architecture muséale contemporaine.

Cette première rencontre a été l’occasion de discuter le rôle du musée et de l’espace depuis l’extérieur jusqu’à la salle d’exposition, d’identifier quelques spécificités entre les musées de beaux-arts et les musées scientifiques, ainsi que de considérer l’architecture comme un objet d’exposition à part entière. Pour en savoir plus, la captation de cette rencontre est disponible en ligne.

Conférence 2 — Les éléments de la scénographie, 10 mai 2022

La deuxième conférence du cycle s’attachait spécifiquement aux éléments de la scénographie muséale. À cette occasion, nous avons eu l’honneur d’accueillir Frédéric Chauvaux, scénographe de l’agence Point de Fuite et président de l’association Scénographes, Marie-Laure Mehl, architecte et scénographe et vice-présidente de l’association des Scénographes, ainsi que Thierry Leviez, directeur du Pavillon Bosio — École supérieure d’arts plastiques de la Ville de Monaco. Existe-t-il une tradition de la scénographie d’exposition ? Quel est aujourd’hui le rôle du scénographe ? Et quels sont les enjeux de la scénographie ? En ce sens, les interventions ont contribué aux réflexions qui entourent le choix de concevoir un dispositif de monstration scénographique, les logiques caractérisant le parcours spatial, la construction d’un environnement qui favorise l’expérience et l’engagement du visiteur.

Frédéric Chauvaux est revenu tout d’abord sur les enjeux de la scénographie et les spécificités du métier de scénographe. En s’appuyant sur quelques projets réalisés, comme l’Espace d’interprétation La Sucrerie de Francières, il s’est spécialement attaché aux étapes successives du projet et aux temps forts de la collaboration entre les équipes. Marie Mehl a ensuite approfondi l’étroite relation entre la scénographie et l’architecture, à partir du projet de réhabilitation qu’elle a réalisé au Beffroi de Douai. Pour Mehl, il est nécessaire d’associer les deux métiers afin de faciliter la compréhension et l’expérience du visiteur dans l’espace muséographique. Spécialisée dans les expositions conçues pour un jeune public, elle a notamment évoqué l’importance de réfléchir à l’intégration de toutes les typologies de visiteurs, en proposant des dispositifs adaptés. Enfin, Thierry Leviez a présenté quelques moments saillants qui ont marqué le séminaire « L’entour. Histoire et technique de la scénographie d’exposition », co-organisé avec Yann Rocher pour les Beaux-Arts de Paris et l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais. Ce projet s’est caractérisé par de nombreuses conférences d’illustres professionnels et chercheurs au sujet de la scénographie, avec une approche historique et contemporaine. Leviez en a évoqué quelques-unes en particulier, afin de souligner les logiques qui ont caractérisé l’affirmation de la scénographie tout au long de l’histoire de l’exposition.

La deuxième conférence s’est ainsi développée autour de la scénographie et de ses relations avec l’espace muséal et l’expérience du visiteur. Pour en savoir plus, la captation de cette rencontre est disponible en ligne.

Conférence 3 — Les dispositifs sensoriels, 7 juin 2022

La troisième et dernière séance de ce cycle était dédiée aux dispositifs sensoriels de médiation. Nous avons accueilli Stéphanie Daniel, conceptrice lumière et fondatrice de l’Agence Stéphanie Daniel, Hervé Bouttet, architecte et associé fondateur de l’Agence Projectiles, ainsi que Viviana Gobbato, doctorante en muséologie et chargée d’enseignement à l’Université Sorbonne Nouvelle — commissaire de cette Rencontre Muséo. Les trois invité.e.s ont contribué à une réflexion autour des « dispositifs sensoriels » pour les musées, entendus comme les dispositifs immersifs, olfactifs, numériques, mais également comme l’éclairage et tout autre élément pouvant interpeller les sens au musée et dans l’exposition. Comment ces éléments interviennent-ils dans la médiation entre l’espace expositif et le visiteur ? Par quels moyens participent-ils à l’exposition, à son expérience et à l’apprentissage ?

Stéphanie Daniel a ouvert la rencontre avec une étude de cas, qui concernait la réhabilitation du dispositif son et lumière de la Grande Galerie de l’Évolution au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (2014). Conçu en 1994 par André Diot pour l’ouverture de la galerie, le dispositif a été restauré et relampé en LED par la conceptrice lumière à l’occasion de ses 20 ans. Ce dispositif lumineux immersif présente un cycle nycthéméral d’une heure et quinze, reproduisant en boucle les changements lumineux du matin au soir, et dispose également d’éclairages fixes colorés qui simulent les environnements de provenance des spécimens exposés. Il forme ainsi une scénographie de lumière. Hervé Bouttet a présenté, quant à lui, plusieurs projets sensoriels conçus par l’agence Projectiles. Depuis presque 20 ans, son agence s’est spécialisée dans la création de scénographies d’espaces d’exposition immersives, mobilisant des dispositifs faisant appel aux sens. Il a notamment discuté la relation entre les visiteurs et l’espace muséal grâce aux dispositifs immersifs. Parmi quelques exemples, le projet au National Cowgirl Museum and Hall of Fame à Fort Worth au Texas, illustre tout particulièrement l’intégration d’une scénographie immersive et sensorielle au musée. Le plus récent projet Sensory Odyssey pour le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris a permis aussi d’évoquer l’odorat et les projecteurs d’odeurs au musée. Enfin, Viviana Gobbato a présenté une partie de ses travaux de recherche de doctorat en muséologie, et notamment les apports de l’éclairage comme dispositif de médiation sensorielle. Elle s’est attachée à exposer les résultats issus de deux études sur la cognition incarnée avec la méthode REMIND (Schmitt, Aubert, 2017). La première expérience a été réalisée à la Grande Galerie de l’Évolution sur le dispositif conçu par Stéphanie Daniel (Gobbato et al., 2020), et la deuxième au Musée d’Art moderne de Paris sur un dispositif expérimental pour la Fée électricité de Raoul Dufy (Gobbato et al., 2022). Il ressort de ces résultats que l’éclairage stimule la construction de sens des visiteurs, et peut ainsi être considéré comme un dispositif spatial d’apprentissage au même titre que d’autres éléments du design de l’exposition (Falk, Dierking, 2012).

La troisième conférence s’est ainsi développée autour des dispositifs qui font appel aux sens des visiteurs, à l’expérience sensible et à la construction de sens par une approche incorporée. Pour en savoir plus, la captation de cette rencontre est disponible en ligne.

Conclusion

Ce bref compte rendu aura tenté de définir le cadre des échanges de la Rencontre muséo — Paris « L’écriture spatiale du musée et de son exposition ». Chaque rencontre s’attachait à porter une attention particulière aux éléments et aux acteurs qui contribuent à la construction de l’écriture spatiale du musée et de son exposition : des métiers et des savoir-faire (architecte, scénographe, designer, concepteur lumière), des médias (architecture, scénographie, dispositifs sensoriels) et des usagers (publics). En un mot, ce cycle de rencontres a souhaité créer un espace de débat et de réflexion sur l’influence du contenant muséographique et expographique dans l’expérience des visiteurs et leur construction de sens.

Bibliographie

CIVIL, Marie. (2018). L’architecture contemporaine des musées d’art (1980-2017) : réappropriations formelles et recréations typologiques. Thèse de doctorat en Histoire de l’art, Université de Picardie, École doctorale en Sciences humaines et sociales, 522 p.

DESVALLÉES, André, SCHÄRER, Martin, DROUGUET, Noémie. (2011). « Exposition ». In : DESVALLÉES, André, MAIRESSE, François (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris : Armand Colin, p. 133-173.

DESVALLÉES, André, MAIRESSE, François (dir.). (2010). Concepts-clés de muséologie. Paris : Armand Colin/ICOM, 87 p.

FALK, John, DIERKING, Lynn. (2012). Learning from museums. Washington D.C. : Whalesback Books, 205 p.

GATIER, Pierre-Antoine. (2017). « Les maisons La Roche et Jeanneret, 1923-1925, restauration 2006-2016 ». In Fondation Le Corbusier (dir.), Le Corbusier, l’œuvre à l’épreuve de sa restauration, Paris : Éditions de la Villette, p. 102-125.

GOBBATO, Viviana, BLONDEAU, Virginie, THÉBAULT, Marine, SCHMITT, Daniel. (2020). « L’éclairage dynamique, un dispositif de médiation » [en ligne]. Activités, no 2, vol. 17, DOI : https://journals.openedition.org/activites/5598

GOBBATO, Viviana, THEBAULT, Marine, SCHMITT, Daniel. (2022). « L’éclairage au musée, un dispositif de médiation “sensorielle” » [en ligne]. Revue des Interactions Humaines Médiatisées (RIHM) = Journal of Human Mediated Interactions, no 1, vol. 22, à paraître

RISPAL, Adeline. (2009). « L’architecture et la muséographie comme médiation sensible ». Muséologies, no 3, vol. 2, p. 90-101.

SCHMITT, Daniel, AUBERT, Olivier. (2017). « REMIND : une méthode pour comprendre la micro-dynamique de l’expérience des visiteurs de musées ». Revue des Interactions Humaines Médiatisées (RIHM) = Journal of Human Mediated Interactions, no  2, vol. 17, p. 43-70.

Pour citer cet article : GOBBATO, Viviana, LEAL, Ana. (2022). L’écriture spatiale du musée et de son exposition : Compte rendu de la Rencontre muséo IDF, 2022, Metis Lab, publié le 20 juin 2022. Disponible sur :
metis-lab.com/2022/06/20/lecriture-spatiale-du-musee-et-de-son-exposition-compte-rendu-des-rencontres-museo-paris-2022/

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