Publié le 15 juin 2022
[Illustration : Anonymous, Geboorte van Christus, 1850 – 1900, Amsterdam, Rijksmusuem, Collection en ligne, Rijkstudio]
Cet article est écrit dans le cadre du dossier Musées et mémoire : parler d’esclavage au sein des musées, composé d’une introduction et de différentes ressources. Pour retrouver le cadre du dossier, rendez-vous sur l’introduction.
Après avoir présenté les initiatives des musées, nous avons eu l’occasion de pouvoir interroger des professionnelles qui ont travaillés sur ce sujet. Dans cet article, nous rencontrons l’Odyssée Curieuse (Sandrine Lesage), médiatrice culturelle et guide conférencière depuis plus de 13 ans. Nous la remercions d’avoir répondu à nos questions.
Comment avez-vous été formée sur ce sujet ?
Formée d’abord en histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, c’est ma carrière qui m’a amenée au musée d’histoire de Nantes pour aborder de l’histoire pure et ses sujets. J’y ai travaillé en tant que médiatrice culturelle pendant 7 ans et demi. C’est par ce travail que j’ai pu apprendre sur ce sujet. Auparavant, je n’avais jamais entendu parler de ce sujet qui était en effet peu abordé. De plus, il y avait une lacune dans les programmes scolaires.
Ce sont les conservateurs – notamment Madame Krystel Gualdé – qui nous ont formés. Nous étions dans les salles, auprès des objets, ce qui permettait de voir tout le circuit de traite depuis Nantes.
Le musée lui-même est vecteur de connaissances par les lectures et les expositions sur le sujet ; ce qui permet au médiateur d’aborder – in situ – différentes approches : la photographie contemporaine sur Haïti, des textes contemporains de la période de l’esclavage… pour les mettre en regard des objets.
Je continue à me former de manière personnelle : le discours, notamment, a évolué. Par exemple, dans le vocabulaire employé, il y a cette volonté de décoloniser le regard et de moins employer le terme d’”esclave”. Cela peut paraître étrange pour le sujet mais l’idée est de ne pas définir les personnes exclusivement par leur statut. Ces personnes ne sont pas nées esclaves lorsqu’elles ont été arrachées de l’Afrique, elles ont été mises en esclavage. De ne plus employer le terme “traite négrière” mais de parler de « traite atlantique”, d’essayer de ne pas tout réduire à la couleur de la peau.
De plus, les recherches sur le sujet en France n’ont réellement (re)commencé que dans les années 1980/1990. Nous sommes toujours dans “la recherche” et il faut actualiser les connaissances sur les chiffres car ces derniers évoluent avec les dernières découvertes.
J’ai pu m’appuyer sur ces connaissances pour faire des visites guidées dans la ville de Nantes. Il s’agissait de retrouver des traces de ce passé au travers des demeures du XVIIIe siècle occupées à cette époque par les armateurs et les marchands. D’autre part, j’ai aussi pu organiser – en 2012- des visites au Mémorial de l’abolition de l’esclavage. J’ai pu me resservir de cette dernière expérience pour d’autres aspects de mon métier, comme dans des cours d’histoire de l’art pour des étudiants.
Le public est-il plus sensibilisé à ce thème ? Comment réagit-il à ce thème ?
Je trouve qu’il y a de plus en plus de personnes qui s’intéressent au sujet. J’ai pu travailler avec différents publics, dont des scolaires qui ont ce thème dans leur programme (en 4ème). C’est un autre contexte car ils sont sensibilisés ou vont l’être. Il y a donc une première approche théorique à la mémoire de la traite et de l’esclavage.
J’ai aussi travaillé avec le grand public. Ça ne m’est arrivé que deux ou trois fois dans ma carrière d’avoir des personnes expliquant que l’esclavage se justifiait à l’époque. Le sujet est assez sensible et mal connu ; il véhicule beaucoup de mythes et de rumeurs. Cela est imputable à l’arrêt des recherches et à la mauvaise circulation des informations – que ce soit dans les écoles ou les guides touristiques : ce qui a contribué à la mauvaise information du public. Mais il provoque le plus souvent de l’empathie et de la curiosité
Depuis 15 ou 20 ans, on assiste à un rétablissement d’une vérité historique. Il y a un aspect émotionnel, sensible qui est présent mais il y a aussi un aspect d’informations historiques : le public veut des chiffres sur le nombre de personnes déportées, le taux de mortalité. Il y a des images à déconstruire, mais de moins en moins car l’école, le collège effectuent leur travail d’éducation autour de ce sujet. Il y a encore quelques années, le terme de pacotille était mal compris. La pacotille était ce qui servait aux Européens pour acheter des esclaves sur les côtes africaines. C’est un terme qu’on confond avec quelque chose qui a peu de valeur. On a longtemps imaginé que les esclaves africains ne valaient pas très cher. Pacotille vient de l’espagnol pacotilla qui signifie paquet. Ce terme mal compris a entraîné des incompréhensions.
Dans certains guides touristiques, il était écrit qu’il y a eu un marché aux esclaves à Nantes ou bien que des demeures ont été construites par des esclaves, ce qui n’est pas le cas. Ces idées circulent de moins en moins, mais certaines personnes se souviennent de l’avoir lu quelque part.
Depuis que j’exerce en indépendante, depuis deux ans, c’est la thématique de visite qui a le mieux fonctionné. J’ai pu rencontrer mon public et notamment des personnes qui viennent chercher leurs racines. Ce n’est pas un public que je voyais au musée d’histoire de Nantes. C’est peut-être le fait de n’avoir pas à rentrer dans un musée ou bien une curiosité de plus en plus grande : j’ai eu une dame qui venait faire son arbre généalogique. Nantes est identifié comme un grand port au XVIIIe siècle et donc un lieu d’histoire et de mémoire sur ce thème.
Pour découvrir l’Odyssée Curieuse
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Pour en savoir plus
COQUERY-VIDROVITCH, Catherine. (2018). Les routes de l’esclavage, Editions Albin Michel / Arte Editions, Paris, p.21
Pour citer cet article : BESSON, Julie. (2022). Entretien avec l’Odyssée Curieuse, Metis Lab, publié le 15 juin 2022. Disponible sur :
metis-lab.com/2022/06/15/musees-et-memoire-de-lesclavage-entretien-avec-lodyssee-curieuse/
2 réflexions au sujet de “[Musées et mémoire de l’esclavage] Entretien avec l’Odyssée Curieuse”