Publié le 20 décembre 2022
[Illustration :
Direction Générale des Travaux de Paris et du Département de la Seine, Maison de l’Arménie, Cité internationale universitaire de Paris, 14ème arrondissement, 1933, Paris, Musée Carnavalet, Collection en ligne, Paris Musées]
Introduction
S’intéresser aux destructions patrimoniales en temps de guerre pourrait sembler presque indécent face aux tragédies humaines qu’accompagnent les conflits armés, sous toutes leurs formes. Cependant, force est de constater que loin d’en constituer un aspect auxiliaire, l’inquiétude suscitée par la violence à l’égard du patrimoine est présente, autant chez les spécialistes, au sein des populations concernées et touchées dans leur identité, que dans l’esprit collectif. Au croisement des thématiques du patrimoine et de la guerre, l’imaginaire récent est empli d’images frappantes : les destructions à Dubrovnik lors des guerres en ex-Yougoslavie, l’explosion des Bouddhas de Bâmiyân (Afghanistan), le pillage des musées de Bagdad (Irak), la destruction du temple de Bêl à Palmyre (Syrie) et des sites de Khorsabad et Ninive (Irak), le sauvetage des manuscrits de Tombouctou (Mali). Et de manière plus récente et plus forte – certainement car plus proche de nous – les destructions causées par la guerre en Ukraine ont suscité l’indignation et des réactions de la part de la communauté internationale.
C’est par le prisme d’un autre conflit, lui aussi “aux portes de l’Europe”, dans les tréfonds du Caucase, que je souhaite examiner ici cette thématique (1). Opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur fond de revendications territoriales, le conflit “gelé” du Haut-Karabakh (2) (Artsakh en arménien) a été marqué par deux guerres (1988-1994 pour la première Guerre du Karabagh, 2020 pour la Guerre des 44 jours) et de nombreuses périodes de tensions (notamment en 2016 et 2022). La durée de ce conflit (plus de 30 ans), son contexte historique (3) et géographique, ses enjeux stratégiques et géopolitiques (le droit à l’autodétermination vs. la juridiction internationale (4)), en font un exemple particulièrement pertinent pour comprendre les difficultés à protéger et à transmettre le patrimoine en temps de guerre, et à en signaler les enjeux symboliques.
Les champs de bataille ne sont pas seulement emplis de cadavres, ils débordent de débris, de morceaux d’histoire ou d’identités éclatées, de lieux soumis à une inéluctable disparition. Et pour certains d’entre nous, ils sont les révélateurs d’une certaine conscience patrimoniale. Ce fût mon cas. En 2001, le monde découvrait avec effroi la destruction à l’explosif – spectaculaire – des Bouddhas de Bâmiyân, œuvre des Talibans. Quelques années plus tard, ce n’est pas par les médias, mais par le biais d’une plateforme montante – YouTube – que je découvrais, cette fois-ci seule et sans écho médiatique, des images de la destruction des milliers de khatchkars arméniens (“pierre à croix”) du cimetière de Djulfa, par les armées azerbaïdjanaises situés dans l’enclave du Nakhitchevan (République autonome du Naxçıvan) – nous y reviendrons. Ces deux exemples sont loin d’être anodins, car ils racontent que la guerre peut toucher le patrimoine autant dans le fracas des bombes, dans la multiplication des « unes » médiatiques, dans l’agitation des réseaux sociaux que dans le silence le plus absolu.
Au-delà de l’émotion provoquée – ou de son absence – la question patrimoniale en temps de guerre est infiniment complexe et dépasse l’équation “bombes = destructions”. Si certaines constantes, liées notamment à la volonté de détruire, apparaissent, les approches géopolitiques et stratégiques ne sont pas transposables d’un cas à un autre, mais peuvent se faire écho. L’étude de cas que je me propose d’aborder ici n’a ainsi pas vocation à s’appliquer à l’ensemble des conflits armés dans le monde. D’autres aspects sont également à prendre en considération : d’une part, le temps de la guerre ne se limite pas au temps des combats, et les logiques qui en émergent sont ancrées dans une temporalité longue. D’autre part, le patrimoine est protéiforme : matériel, immatériel ou naturel, il se rapporte tant aux monuments et aux sites historiques qu’aux objets de la sphère intime et familiale, qu’à la langue ou aux espaces naturels. Enfin, cette thématique interroge, d’autant plus à l’ère de la communication et des réseaux sociaux, à la fois la représentation médiatique de la destruction du patrimoine et notre accès aux images et à leurs significations.
1. Le patrimoine : au-delà du “dommage collatéral”, un enjeu stratégique
La notion de patrimoine est née de la peur de l’effacement et de la disparition, issue notamment des transformations idéologiques portées par la Révolution française et des actes de vandalisme, “néologisme introduit par l’Abbé Grégoire le 31 août 1794, afin de décrire précisément les actes systématiques de destruction, notamment du patrimoine religieux” (Gravari-Barbas & Veschambre, 2003). Pourtant, et de manière assez paradoxale, elle est aujourd’hui valorisée comme porteur de lien social, un “bien commun” accessible à tous : telle est la symbolique sous-jacente au concept de “patrimoine mondial de l’humanité” (UNESCO, 1972). Forts de cette conception, l’on aurait bien du mal à entendre la possibilité de détruire, hormis dans le cadre malheureux de dommages collatéraux.
Le patrimoine recoupe une pluralité d’enjeux qui en font la cible idéale – de manière intentionnelle ou non – des conflits : géopolitique (puisque le patrimoine, tout comme les musées, sont des agents de soft-power), économique, touristique, culturel mais également symbolique. Les destructions patrimoniales peuvent constituer des dommages collatéraux de la guerre, qu’elles soient le fait de manœuvres militaires ou d’abandon (5). Mais ils en constituent bien souvent un moyen, si ce n’est un véritable enjeu stratégique. Dans le cas qui nous intéresse, deux cas de figure mettent en évidence ces enjeux symboliques, rattaché au patrimoine comme “réappropriation de l’espace” (Gravari-Barbas & Veschambres, 2003), pouvant aller à l’encontre des droits culturels des peuples (2007). Ils se déclinent en plusieurs modalités de rapport entre discours historique, discours politique et matérialité du patrimoine.
La première modalité pourrait être qualifiée d’”absolue”, consistant à nier l’occupation territoriale, et de fait, l’existence même de l’autre. Le cas du patrimoine arménien au sein de la République autonome du Nakhitchevan l’illustre : la destruction du cimetière de Djulfa en 2005 est le point d’orgue d’une politique de destruction enclenchée dans les années 1990. Le dernier rapport publié par l’organisme Caucasus Heritage Watch (2022) à partir de l’analyse d’une imagerie satellitaire témoigne de la destruction complète de 108 monastères (médiévaux et modernes), d’églises et de cimetières entre 1997 et 2011, soit 98% du patrimoine arménien connu.
Le narratif associé est lui-même empreint de cette négation absolue, visible dans la réorganisation du paysage historique de la région. Pour les officiels azerbaïdjanais, il ne peut pas y avoir de destructions, car pour qu’il y ait destruction, encore aurait-il fallu que ce patrimoine existât. Telle est l’explication donnée aux quelques rares observateurs curieux et au sein des organismes internationaux. Pas de preuves, pas de problèmes. Seulement le silence.
D’autres configurations, moins définitives, peuvent se mettre en place : substituant le discours politique au discours scientifique, elles font émerger les notions de révisionnisme et de réappropriation. La destruction n’est plus celle de l’intégrité matérielle des monuments, mais s’opère dans l’altération du lien établi entre un groupe social et le patrimoine qu’il reconnaît comme tel. Après la Guerre des 44 jours, une théorie née en 1950 s’est renforcée en Azerbaïdjan : les édifices arméniens ne seraient pas arméniens, mais azerbaïdjanais car réalisés par les Albaniens du Caucase (qui n’ont rien à voir avec leurs homonymes des Balkans).
Rapide explication : l’Albanie du Caucase est un ancien royaume chrétien (2-10e siècle), composé de plusieurs tribus, dont les frontières correspondent dans les grandes lignes au territoire de l’Azerbaïdjan actuel. Disparus il y a plus de 1000 ans, difficile de savoir aujourd’hui ce qu’il est advenu de ce royaume. Le discours porté par quelques universitaires depuis les années 1950 et par toute la classe politique depuis 2020 repose sur deux points (6):
1) Tout ce qui est considéré comme arménien n’est, de fait, qu’une falsification des édifices albaniens (une idée du vandalisme « inversé ») et les Arméniens n’auraient jamais occupé la région.
2) Les Azerbaïdjanais seraient les héritiers des Albaniens du Caucase : leur histoire serait ainsi indigène à la région, ce patrimoine serait le leur et il leur reviendrait ainsi de le remettre dans son état initial.
Cette théorie ne consiste plus en une querelle universitaire, qui n’a jamais été réellement développé: elle est un argument pour la mise en œuvre d’une politique d’identité nationale, utilisée par le président Ilham Aliyev, récupérée et propagée comme telle de la sphère politique à la sphère académique. Car la guerre est aussi historiographique. Outre les discours, elle peut se matérialiser dans des actes aussi signifiant que renommer des lieux ou des édifices (7), s’attribuer la juridiction des collections (comme la Russie a pu le faire en 2014 avec la Loi sur les sites criméens de patrimoine culturel), qu’en modifiant les traces, les usages ou en remodelant structure et physionomie des monuments (8).
Le patrimoine s’inscrit de fait dans une dynamique oscillant entre destruction et préservation, à la fois objet d’une annihilation de ses caractéristiques propres et d’une réattribution de caractéristiques qui lui sont assignées.
Comme l’indiquent Maria Barbari-Gravas et Vincent Veschambre : « Revendiquer la protection et la valorisation d’un espace donné, en mettant en avant ses qualités patrimoniales, c’est tenter de le défendre et de se l’approprier, réellement ou symboliquement. C’est tenter d’acquérir une légitimité et d’exercer une forme de pouvoir sur cet espace » (Barbari-Gravas & Veschambre, 2003,).
2. Protéger et transmettre : la société civile face aux organisations internationales
Dans le contexte des guerres et des conflits armés, le rôle des organismes internationaux se pose comme l’une des premières références en termes d’action. Nés pour la plupart au sortir de la Seconde Guerre Mondiale (UNESCO, ICOM) ou au cours de la seconde partie du 20e siècle (ICOMOS, Blue Shield International, ICCROM, ALIPH, etc.), ils se fondent sur un idéal de paix que doit encourager la préservation, la protection et la transmission d’un patrimoine partagé par tous.
L’UNESCO constitue notamment un lieu de production normative, dont s’emparent les organes supranationaux. La Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés (1954) affirme notamment que “les atteintes portées aux biens culturels, à quelque peuple qu’ils appartiennent, constituent des atteintes au patrimoine culturel de l’humanité entière, étant donné que chaque peuple apporte sa contribution à la culture mondiale”. Si celle-ci n’a pas de valeur contraignante, elle marque, avec la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972) instituant le Patrimoine culturel de l’humanité comme catégorie juridiquement significative, des jalons à partir desquels vont d’appuyer un ensemble de décisions juridiques. Les destructions patrimoniales peuvent être qualifiées de “crime de guerre”, notamment depuis la sentence du 27 décembre 2016 prononcée par Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, condamnant Ahmad al-Mahdi pour, entre autres, la destruction des tombes soufies, les portes de la mosquée de Sidi Yahia et l’incendie de la bibliothèque de Tombouctou. Notons également la Résolution 2347 adoptée par le Conseil de Sécurité de l’ONU, qui “condamne la destruction illégale du patrimoine culturel”, et reconnaît ainsi la part culturelle dans l’action humanitaire” (Cornu et al., 2018). Ces modifications accompagnent notamment une certaine conception portée par la CPI, considérant la destruction des biens culturels comme préalables aux agressions physiques et aux violations des Droits de l’Homme (9). D’une certaine manière, les législations ont évolué en réponse à certains conflits armés, entraînant dans leur sillage des actions de grande ampleur par le biais des organismes internationaux. Pour exemple, la problématique du trafic illicite n’a été prise en compte que récemment, suivant la destruction du patrimoine afghan par les Talibans, composant une activité à part entière d’Interpol : l’ICOM a de son côté mis en place l’un des outils de préservation par le biais des Listes rouges. Si l’acte le plus symbolique est l’inscription du patrimoine sur des listes de protection visant d’une part à signaler son intérêt, et de l’autre à rendre visible leur potentielle fragilité, (pouvant provoquer des effets pervers (10)), les actions menées dès lors reposent sur plusieurs logiques : sensibilisation, protection, missions d’observation, formation, échanges, sans pour autant assurer la protection sur le terrain.
Car ces actions, malgré leur nécessité, souffrent de plusieurs limites. D’une part parce que, ne pouvant se substituer à la souveraineté des États, la coopération est nécessaire et suppose en premier lieu d’avoir accès au territoire concerné – la mission des experts indépendants proposé par l’UNESCO en décembre 2020 n’a toujours pas eu lieu en l’absence de réponse favorable de l’Azerbaïdjan. De l’autre, si cette évolution prend en considération un nombre important de conflits armés, elle semble créer des angles morts, de lieux « moins » importants. Car sinon, comment expliquer tout le silence autour des destructions au Nakhitchevan puis plus tard, au Haut-Karabakh ?
La longueur des procédures peut passer pour une insuffisance des réactions des organismes internationaux, souvent cantonnés à la publication de communiqués et à la seule condamnation de situations « dangereuses ». L’efficacité et les idéaux des justice portés par ces organismes suscitent alors des interrogations quant à leur pertinence, soulève de nombreuses interrogations et un sentiment de frustration, d’autant quand s’y mêlent des enjeux politiques, financiers et parfois même, des soupçons de corruption.
En contrepoint, ces limites affirment avec force l’importance des acteurs de la société civile, les plus à mêmes de pouvoir agir dans l’immédiateté et sur le terrain. Les images des adieux des Arméniens du Haut-Karabakh au monastère de Dadivank, passé sous juridiction azerbaïdjanaise en novembre 2020, l’illustrent bien : les objets liturgiques précieux et deux khatchkars ont été mis en sécurité en Arménie — soulevant par ailleurs des questions en termes de juridiction des collections —, tandis qu’hommes et femmes ont profité de ces derniers instants pour réaliser des relevés graphiques et photographiques afin de garder une trace de leur patrimoine, voire en réaliser des modélisations 3D. Ils rappellent les campagnes photographiques des monuments arméniens du Nakhitchevan réalisées entre 1964 et 1987 par Argdam Ayvazyan, natif de la région, constituent le fond photographique le plus complet pour réaliser des travaux scientifiques sur le patrimoine chrétien et islamique de la région. De nombreuses associations, sur place ou à l’international, s’inscrivent depuis quelques années dans cette même démarche, en initiant des fouilles archéologiques encadrées, des travaux scientifiques, dans la mesure de leurs moyens.
Ces actions de la société civile rappellent la place fondamentale des professionnel.le.s et les chercheurs.es, les plus à même d’agir par leur expertise et par leur responsabilité en tant que citoyens et citoyennes. L’ICOM a notamment récemment organisé des formations en Arménie afin d’entraîner professionnel.le.s à la gestion des risques et des catastrophes, posant dès lors le problème de l’accès aux territoires concernés. Mais le travail le plus fastidieux consiste dans la documentation et la transmission. C’est dans cette optique que se sont développées deux plateformes, Monument Watch et Caucasus Heritage Watch, visant à documenter et à observer l’évolution du patrimoine de la région, la première par l’analyse des sources documentaire et le travail de terrain dès que celui-ci est possible, le second par l’analyse d’une imagerie satellitaire régulière. Selon Adam T. Smith (Université de Cornell Caucasus Heritage Watch), il est essentiel d’opposer aux discours politiques de toute nature, des données et des faits scientifiques, qui seront les seuls à (re)construire la paix dans la région et à ouvrir un dialogue apaisé entre les populations.
Conclusion
La guerre, sous toutes ses formes – du conflit au terrorisme – inverse la conception du patrimoine, oscillant entre bien commun et marqueurs d’une identité non-partagée . L’arsenal législatif et les actions qui en découlent créent plusieurs angles morts ; à la fois sur l’importance du rôle de la société civile, mais également sur des catégories du patrimoine moins reconnus (patrimoine naturel, patrimoine urbain, domestique et familial) et de fait, d’autant plus fragiles..
Dans ce cadre, le rôle des musées — dont nous avons peu parlé — apparaît essentiel à partir de leur fonction de recherche, de préservation et de communication, pouvant proposer des solutions innovantes afin de contribuer à la transmission de ce qui n’est plus, comme ce fût le cas avec l’exposition Sites éternels. De Bâmiyân à Palmyre, Voyage au cœur des sites du patrimoine universel (Décembre 2016 – Janvier 2017, Grand Palais, Paris) en association avec la start-up ICONEM. Mais à l’heure où se pose la question entre « musée neutre ou activiste », c’est comme agent de paix que ceux-ci doivent orienter leurs actions, et véritablement ouvrir des espaces de dialogues et de reconnaissance mutuelle. Mais d’autres logiques existent, car le rapport entre guerre et musée suppose aussi d’interroger la muséalisation des artefacts de la guerre et des stratégies de la mise en scène “émotionnelle” des victoires – comme c’est le cas du Musée de la Défense Sacrée et de la Révolution Islamique à Téhéran ou encore du Parc de la Victoire de Baku.
Les problématiques sont nombreuses, et leur prise en considération, vitale. Il est difficile de parler d’un sujet aussi immédiat, sans avoir le temps d’analyse nécessaire qui pourrait — et devrait — s’extirper de considérations politiques. Tel est le risque de la guerre : plus tard, il sera peut-être finalement « trop tard ».
Bibliographie
Agha, J. (2021, 7 juin). Perspectives : who were the Caucasian Albanian. Eurasianet. https://eurasianet.org/perspectives-who-were-the-caucasian-albanians
Besson, S. (2015, 4 novembre). L’Azerbaïdjan face au désastre culturel, Le Temps. https://www.letemps.ch/culture/lazerbaidjan-face-desastre-culturel
Caillet, M. (2022, 16 juin). La protection du patrimoine religieux du Karabakh : l’UNESCO en prise avec le spectre de l’Albanie du Caucase. Eurasiapece.https://eurasiapeace.org/azerbaidjan-armenie-eglise-islam-conflit-patrimoine-religieux-unesco-karabakh
Cornu, M., Frigo, M., Grassi, M.T., Irollo, A. & Patterson, B. (2018). « Préservations et destructions en temps de guerre », Perspectives, 2, 57-82. Disponible en ligne : https://journals.openedition.org/perspective/11106
Gravari-Barbas, M. & Veschambre, V. (2004). « Patrimoine : derrière l’idée de consensus, les enjeux d’appropriation de l’espace et des conflits ». In : Melé, P., Larrue, C. & Rosemberg, M. (dir.). Conflits et territoires. Tours : Presses universitaires François-Rabelais. Disponible en ligne : http://books.openedition.org/pufr/1831.
Hammache, S. (2022, 23 septembre). Au Nakhitchevan, l’Azerbaïdjan a détruit 98 % du patrimoine arménien. Le Journal des Arts. https://www.lejournaldesarts.fr/actualites/au-nakhitchevan-lazerbaidjan-detruit-98-du-patrimoine-armenien-162524
Jamgochian, N. (2020, 13 novembre). Google Arts & Culture as Agent of ethnic Cleansing. Hyperallergenic. https://hyperallergic.com/601492/google-arts-culture-as-an-agent-of-ethnic-cleansing
Magakyan, S. & Pickman, S. (2019, 18 février ). A Regime conceals its erasure of Indigenous Armenian Culture., Hyperallergenic. https://hyperallergic.com/482353/a-regime-conceals-its-erasure-of-indigenous-armenian-culture/
Nattiqqizi, U. (2022, 16 novembre). Azerbaijan’s Aliyeva quits UNESCO post. Eurasianet. https://eurasianet.org/azerbaijans-aliyeva-quits-unesco-post
Notes de fin
(1) Cet article est sans doute le plus personnel qu’il me sera donné d’écrire ici. Je tiens à remercier Mêtis de me laisser cet espace d’expression, et en réponse à cette confiance, je tiens à souligner que mon ambition se limite à exposer des questionnements qui me traversent depuis longtemps et qui se mêlent à mon expertise de chercheuse.
(2) Quelques mots sur le conflit : Après l’effondrement de l’empire russe en 1917, l’Arménie (dont la partie ottomane a connu les atrocités du Génocide des Arméniens de 1915, perpétré par le gouvernement Jeunes Turcs) et l’Azerbaïdjan deviennent, tout comme la Géorgie, des Etats indépendants (1918-1920). Déjà des premières revendications territoriales (concernant notamment les régions du Nakhitchevan, du Syunik et du Karabagh) émergent. Peu après la prise de pouvoir par les Bolcheviks, la région forme la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie. Le Nakhitchevan et le Karabagh sont attribués par Moscou à la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan en tant que Républiques autonomes. Si le Nakhitchevan voit sa population arménienne diminuer du fait de mouvements d’émigration et d’une politique pro-azérie dans l’enclave, la population arménienne du Karabagh (94% selon un recensement de 1923, 75% en 1988) demande en 1988, dans le contexte de la perestroïka et de la glasnost de Gorbatchev, son indépendance et vote son rattachement à la RSS d’Arménie. Celle-ci leur sera refusée. Par un référendum organisé le 10 décembre 1991 la population du Haut-Karabakh entérine la proclamation de la République du Haut-Karabakh. En 1992, après la chute de l’URSS et la nouvelle indépendance des deux états, débute la Première Guerre du Haut-Karabagh (1992-1994) : à l’issue du cessez-le-feu, les Arméniens du Haut-Karabagh restent dans la République auto-proclamée du Haut-Karabakh et occupent sept régions tampons. En 2020, l’Azerbaïdjan lance une offensive de grande ampleur, à la technologie moderne et soutenue militaire notamment par la Turquie. Elle récupère ainsi, à la suite d’une guerre rapide, technologique, et particulièrement sanglante (on compte environ 7000 morts) en 44 jours les zones tampons et une partie de la région réclamée. A ce jour, le statut du Karabagh, dont le statut quo est “garanti” par des « gardiens de la paix » russes, le temps de trouver un accord, et le sort des Arméniens y vivant n’est pas réglé. Les tensions sont toujours vives, et dépassent aujourd’hui les frontières, puisque le 12 septembre 2022, les tirs d’artillerie et de frappes de drones ont touché le territoire souverain de l’Arménie.
(3) Rappelons également que l’Arménie au 20e siècle a connu plusieurs périodes particulièrement difficiles : un génocide, plusieurs guerres (1918, 1988-1994, 2020), un blocus économique. La question du conflit avec l’Azerbaïdjan ne peut se passer d’une remise en perspective globale, qui intègre des rapports de force inégaux et la crainte très présente d’une épuration ethnique. Elle doit se comprendre notamment en rapport des liens avec la Turquie, de l’influence de la Russie, et des limites avec l’Iran.
(4) Quatre résolutions de l’ONU ont été votées entre 1988 et 1994 (822, 853, 874 et 884), sur lesquels s’appuient l’Azerbaïdjan pour qualifier la situation d’”occupation illégale”.
(5) C’est le cas notamment des villes de Fuzuli ou d’Agdam, et de manière générale, de villes abandonnées lors de déplacement de populations et de monuments qui ne sont de fait, plus entretenus car séparés de leur communauté.
(6) Cette théorie induit ainsi que la présence arménienne serait due aux migrations encouragées par la Russie du 19e siècle afin de “christianiser le territoire”. Elle s’inspire également du déchiffrement de l’alphabet des Albanais du Caucase, proche de l’alphabet arménien, d’autant que les deux ont été créés par le même moine, Mesrop Machtots.
(7) Cette problématique, déjà connue pour les édifices arméniens d’Anatolie, rencontre une nouvelle dimension à partir de plateformes collaboratives, telles que Wikipedia ou Google Arts & Culture.
(8) Cette dimension apparaît notamment pour le complexe monastique de Dadivank et pour la cathédrale Saint-Sauveur Ghazanchetsots
(9) Lorsque Raphaël Lemkin propose, d’abord en 1933 lors de de la Conférence pour l’unification du pénal à Madrid, puis, puis en 1944, la définition de “génocide”, celle-ci intègre l’aspect culturel inhérente à la volonté d’annihilation d’un groupe ou d’une minorité
(10) Lors de la guerre de l’Ex-Yougoslavie, les monuments signalés par le Bouclier Bleu furent intentionnellement détruits.
Pour citer cet article : GUIRAGOSSIAN, Olivia (2022). Guerre et P. (pour Patrimoine), Mêtis Lab, publié le 20 décembre 2022, disponible sur :
metis-lab.com/2022/12/20/guerre-et-p-pour-patrimoine/
1 réflexion au sujet de “Guerre et P. (pour Patrimoine)”