[ Illustration : Vasily Kandinsky, Improvisation No. 30 (Cannons), 1913, Chicago, Art Institute, Collection en ligne ]
Publié le 16 décembre 2021
Ce dossier se propose de rendre compte des réflexions émises lors des journées d’étude organisées par le Centre Norbert Elias et par la revue Culture & Musées au MuCEM. Élaborées dans le cadre des 30 ans de la revue et de la préparation d’un numéro spécial anniversaire, ces deux journées d’études visent à ouvrir le dialogue autour de la question de l’avenir des institutions muséales. Secoués par la crise sanitaire, les avancées sociales ou bien l’évolution de la consommation culturelle, les musées vivent actuellement un tournant important. Ces journées réunissent alors plus d’une trentaine de chercheurs de disciplines et de nationalités différentes ainsi que plusieurs professionnels de la culture, français comme étrangers. Retrouvez le programme des journées sur ce lien. Retrouvez nos autres comptes rendus
« Situer nos incertitudes, penser le musée dans le temps. Des musées fatigants aux musées fatigués »
Dominique Poulot, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est le grand historien français des musées et du patrimoine. C’est donc à travers une mise en perspective historique qui fait écho à l’intervention de François Mairesse qu’il s’est proposé d’ouvrir les discussions. L’historien interroge les liens historiques que l’on peut tirer sur le concept de « fatigue » au musée.
Pour commencer, il développe l’idée que dès la naissance des musées dans la dernière décennie du XVIIIe siècle,les visiteurs sont en proie à ses effets physiques et moraux très concrets. Il évoque le syndrome de Stendhal, aussi appelé syndrome de Florence, trouble psychosomatique qui affecte un visiteur lors d’une rencontre avec une œuvre d’art, moment si puissant qu’il peut affecter la condition de celui-ci. Il ajoute à cela que les musées sont effectivement des lieux de production de la fatigue physique : se tenir debout, marcher avec un rythme irrégulier, capter des informations visuelles sont autant des composants de l’expérience de visite que de l’usure physique.
Il poursuit en développant le concept de muséophobie, qui est « aussi vieille que l’idée de musée » (Poulot, 2016). Issue du sentiment de désarroi suite à la transformation de la société au XIXe, elle semble accompagner le musée tout au long de son histoire. Paul Valéry disait d’ailleurs en 1934 : « Je n’aime pas trop les musées. Il y en a beaucoup d’admirables, il n’en est point de délicieux ». Pourtant, à partir de l’entre-deux-guerres, le bonheur devient l’objectif des musées. Malraux essaie de le sortir de ses murs, lorsqu’il écrit Le musée imaginaire en 1944, mais de nouveaux maux apparaissent.
Les musées ne sont plus seulement fatigants mais fatigués, en témoigne l’ouvrage de Daniel Tyradellis titré Müde Museen. Oder : Wie Austellungen unser Denken verändern könnten (2014), que l’on pourrait traduire par « des musées fatigués, ou comment les expositions pourraient altérer notre pensée ». Le coup de grâce leur sont portés à travers le phénomène récent de contestation des collections, matérialisé par les demandes croissantes de restitutions, les remédiations muséales, ou dans certains cas extrêmes, les démantèlements.
Face à cette fatigue chronique du musée, Dominique Poulot évoque pour conclure un dilemme : la musée doit-il réparer ou être réparateur ? La réhabilitation des collections constitue-t-elle un acte suffisant de réparation ? D’un autre côté, le musée peut-il « réparer » ses visiteurs, en suivant la promesse de l’art-thérapie ? Peut-on ou doit-on s’engager dans la « muséothérapie » ? Des questions qui renvoient à un seul et même challenge pour l’avenir des musées, celui d’être capable de changer la définition du musée.
Pour citer cet article : PETITJEAN, Louis. 2021. « Voir le musée autrement » – Conférence introductive de Dominique Poulot., Metis Lab, publié le 16 décembre 2021. Disponible sur :
metis-lab.com/2021/12/16/voir-le-musee-autrement-conference-introductive-de-dominique-poulot/
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