Compte rendu de Rencontre

Intervention « Au ministère de la culture et dans les musées ; de l’accessibilité généralisée à l’accessibilité universelle, pour une approche renouvelée des politiques de démocratisation culturelle ».

Guillaumet, Franck

[Image: Noël, Alexandre Jean , Vue des environs de [Rouen ?] prise des chantiers de construction ,1777, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris ]

Ce texte est issu d’une intervention de Franck GUILLAUMET, Chargé du développement des publics « Musées du XXIe siècle », Département de la politique des publics, Direction Générale des Patrimoines. Ministère de la Culture. Elle a eu lieu dans le cadre du colloque « Musée pour tous, musée pour chacun : comment penser des politiques de publics inclusives », qui s’est tenu le 5 juin 2019 à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, organisé par l’association Mêtis en collaboration avec Tactile Studio.

Cette intervention a pris place dans l’AXE 1 : Des musées à l’écoute de leurs visiteurs ? Inclusion et participation citoyenne.

Au ministère de la culture et dans les musées ; de l’accessibilité généralisée à l’accessibilité universelle, pour une approche renouvelée des politiques de démocratisation culturelle

De la fin des années 90 à nos jours dans le secteur des patrimoines (Musées de France / Monuments historiques / Archives de France / Archéologie / Architecture), une évolution importante et incontestable des politiques publiques, des mentalités et des pratiques.

Démocratisation des politiques culturelles et vivre ensemble / développement et diversification des publics (champ social – publics spécifiques, éloignés et empêchés) / citoyenneté et reconnaissance des droits culturels / participation des usagers et projets collaboratifs / démarches inclusives / lutte contre les exclusions et discriminations y compris territoriales / horizontalité et transversalité des actions engagées / accessibilité généralisée et accessibilité universelle : -> ce sont les termes et le champ sémantique communément utilisés par la profession, et qui tracent les contours d’un véritable changement de paradigme à l’échelle du réseau des 1218 musées de France

La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France est venue structurer et consolider un réseau résultant d’un maillage territorial précieux mais fragile. Cette loi a institué 3 mesures essentielles et structurantes :

1/ L’Appellation musées de France : les « Musées de France » sont des musées agréés par l’État et bénéficiant prioritairement de son aide, selon les termes de la loi du 4 janvier 2002. L’Appellation « Musée de France » peut être accordée aux musées appartenant à l’État, à une autre personne morale de droit public ou à une personne de droit privé à but non lucratif. A ce jour, 1218 musées ont reçu l’Appellation « Musée de France».

2/ Le Projet scientifique et culturelle (PSC): obligatoire dans un certain nombre de cas réglementairement encadrés (construction/rénovation) / très recommandé dans la plupart des situations (exemple : choix stratégiques nouveaux) / Les PSC sont le document de référence où l’on traite des enjeux scientifiques et de valorisation des collections mais aussi de la politique des publics, de la diversification et de l’ouverture de celle-ci aux publics du champ social et plus largement aux publics éloignés et empêchés (handicap).

3/ L’Article 7 de la loi du 4 janvier 2002 dispose que : Chaque musée de France dispose d’un service ayant en charge les actions d’accueil des publics, de diffusion, d’animation et de médiation culturelles / Ces actions sont assurées par des personnels qualifiés. Le cas échéant, ce service peut être commun à plusieurs musées.

« La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » a aussi largement contribué au changement des politiques des publics S’inscrivant dans un cadre européen et international, c’est un texte de refondation qui constitue un tournant dans la conception des politiques publiques du handicap. On dépasse l’approche médicale et/ou qui réduit le handicap à une déficience. On introduit le principe des droits fondamentaux, celui de pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap. On pose alors les bases de l’accessibilité généralisée et on entrevoit la possibilité de l’accessibilité universelle : là où justement, il s’agit de faire le lien avec les politiques en direction des publics du champ social.

Les musées et établissements culturels s’organisent pour travailler ensemble : des évolutions en partage et qui se structurent La mission « Vivre ensemble » : depuis 2004, une trentaine d’établissements coopèrent pour aller à la rencontre des publics peu familiers des institutions culturelles et ainsi lutter contre les discriminations dans le domaine de la culture. Par le biais de la mutualisation des ressources et des contacts, les établissements travaillent avec des personnes–relais intervenant dans le champ social. La RECA « Réunion des établissements culturels pour l’accessibilité » : depuis mars 2003, le ministre de la Culture et de la Communication a demandé à ses établissements publics de proposer des mesures concrètes visant à améliorer, à court terme, l’accueil des personnes handicapées dans les établissements culturels / la RECA, c’est également une trentaine d’établissements culturels.

La mission Musées du XXIe siècle : elle est venue confirmer la profonde mutation à l’œuvre depuis la fin des années 90 / Elle a donné des pistes pour mieux accompagner, favoriser et consolider ces changements Une mission lancée en mai 2016 par Audrey Azoulay et dont les travaux étaient placés sous la responsabilité du Directeur général des patrimoines. Les conclusions du rapport de la mission présentée en mars 2017 par la ministre et intitulé « Inventer des musées pour demain » dessinent un musée ouvert aux jeunes générations, un musée qui s’adresse à toute la diversité des publics, un musée plus collaboratif, plus inclusif, et plus accueillant, un musée en prise, en phase avec la société du XXIe siècle.

Les principales préconisations de cette mission : Les musées du XXIe siècle doivent s’affirmer comme des maisons communes, au cœur de la cité, des espaces de citoyenneté accessibles et ouverts à toutes et tous sans aucune exclusive, au plus proche de la réalité et des besoins des territoires. Dans le même temps, ils sont des lieux de création et d’innovation

Parmi les mesures emblématiques formulées par le rapport, et qui ont vu le jour, notamment : Création du prix « Osez le Musée » à l’automne 2017 / Création du label le « Musée sort de ses murs », également à l’automne 2017, pour valoriser les actions dans des lieux publics distincts de l’espace muséal (19 projets labellisés en 2017/ 13 projets en 2018) / Instauration d’une Charte d’accueil des groupes scolaires et publics adolescents / Création d’un manifeste pour un musée humaniste, par Alexia Fabre du MAC VAL. Ces dispositifs sont étroitement liés à ceux relevant plus particulièrement de l’Education Artistique et Culturelle. Ils participent dans leur complémentarité du développement des territoires (attractivité culturelle, touristique et économique) et de la lutte contre les inégalités et la ségrégation culturelle.

Des avancées considérables dues au travail et à l’engagement remarquables des équipes partout sur le territoire, mais aussi des difficultés

Les musées sont confrontés à une double injonction – potentiellement contradictoire : Comment s’adapter à l’hyper fréquentation résultant de la mondialisation du tourisme, comment s’adapter à une forme de massification des échanges irréversible qui comporte une dimension populaire extrêmement forte, comment préserver la qualité d’accueil de toutes et tous. comment dans le même temps et dans ces conditions particulières renouveler l’ambition de démocratisation, de développement et de diversification des publics et développer des démarches qualitatives et de long terme en direction des publics éloignés et empêchés.

Quelques chiffres pour se convaincre de la difficulté de l’exercice 

Musées de France en 2016 (1083 ouverts sur 1218) : 59 millions d’entrées (57% payantes / 43% gratuites) 5 musées ont enregistré plus d’un million d’entrées et concentrent 21 millions d’entrées (Louvre / Orsay / Versailles / CNAC-GP – Pompidou / Musée de l’armée) Part des publics touristiques dans les musées les plus fréquentées : Versailles = 81% / Louvre = 70% / Orsay-Orangerie = 63% Les musées nationaux totalisent 28 millions d’entrées, soit 96% en Ile-de-France et 4% en régions

Le handicap, une grande cause (nationale) et par conséquent une responsabilité publique incontournable : où en sommes-nous ? Dans les musées, l’idée que la question du handicap se limite à l’accès des PMR au cadre bâti a vécu. L’accessibilité généralisée, à l’aune de nouvelles politiques culturelles et de médiation, et dispositifs de substitution Assurer la chaîne de déplacement au sein des établissements culturels mais aussi dans la totalité de leur environnement urbain ou rural Valoriser la place et le rôle de l’humain dans les actions de médiation Tout en utilisant au mieux les potentialités immenses des outils numériques ; des outils au service de l’intermédiation, de l’inclusion et de l’autonomie Faire le pari de la formation des personnels en leur permettant de s’inscrire dans un écosystème participatif Développer les axes et supports de communication tout en veillant à leur accessibilité

Handicap, champ social, publics spécifiques, empêchés, vulnérables, éloignés voire exclus : au-delà de la terminologie, plus ou moins appropriée, employée pour signifier l’ampleur de la tâche à accomplir en matière de démocratisation, la communauté des musées se mobilise et avance vers l’accessibilité universelle

Ceci étant, ce champ sémantique assez large suffit à témoigner de questionnements voire de tâtonnements quant aux modalités d’implantation durable de ces concepts et démarches au sein de sites en pleine évolution – y compris quant à leur modèle économique.  

Ainsi, si la volonté politique d’avancer en ce sens s’affirme et se précise, concrètement elle se heurte notamment à des contraintes budgétaires importantes.

Dans ce contexte parfois compliqué les équipes sur le terrain réalisent des prouesses pour répondre à ces exigences sociales aussi diverses qu’essentielles. 

Ces équipes doivent impérativement être soutenues. 

« Patrimoines pour tous » et « Osez le musée » : deux dispositifs nationaux (parmi d’autres) pour encourager et développer ce mouvement de fond

« Patrimoines pour tous » – Présentation 

Créé en 2011, ce prix résulte de l’extension à l’ensemble du champ patrimonial  du prix « Musées pour tous » créé, lui, en 2007.

Dans le cadre de la politique de démocratisation culturelle conduite par le ministère de la Culture, ce prix distingue les établissements patrimoniaux qui font preuve d’une démarche d’excellence en matière d’accessibilité généralisée pour les personnes en situation de handicap moteur, visuel, auditif ou mental. À travers le prix « Patrimoines pour tous », la Direction générale des patrimoines s’attache à la mise en œuvre de la loi du 11 Février 2005

A noter : le jury du prix « Patrimoines pour tous » accorde une place centrale aux associations nationales du handicap Bilan du prix « Patrimoines pour tous » de 2011 à 2018 / Huit éditions

12 DRAC ont participé au moins une fois à ce dispositif dont une DAC. Onze d’entre elles ont figuré au moins une fois dans un des huit palmarès. Au total, 72 établissements ont participé au Prix, dont, entre autres, 45 musées de France ; 4 centres d’Archives municipales et départementales, ainsi que les Archives Nationales (5 Archives) ; 3 Villes et Pays d’art et d’histoire ; 2 établissements relevant du Centre des Monuments Nationaux (CMN), 2 monuments historiques et 1 Parc naturel. 35 établissements patrimoniaux ont été mis en valeur depuis 2011. 24 établissements patrimoniaux relevant des collectivités territoriales ont été soutenus financièrement.

« Osez le musée » – Présentation 

Créé en 2017, ce rendez-vous annuel est l’une des principales mesures résultant de la mission Musées du XXIe siècle ; cette mission installée en mai 2016 par le ministère de la Culture a donné lieu au rapport Inventer des musées pour demain (présenté en mars 2017).

Ce prix distingue les musées engagés dans une politique volontariste et novatrice en direction des personnes en situation d’exclusion ou de vulnérabilité sociale et économique. Il vise à encourager et soutenir les musées porteurs d’une démarche collaborative et inclusive, et qui privilégient dans la durée un mode opératoire de coproduction avec les associations, leurs relais et leurs publics. 

« Osez le musée » permet à des musées parfois trop mal connus de faire connaître l’action remarquable et résolue de leurs équipes en direction des publics du champ social, notamment issus des quartiers et zones prioritaires, en ville comme dans les territoires ruraux.

Ce dispositif contribue à dessiner les contours d’un musée nouveau, musée en partage, musée ancré dans la réalité de son territoire et en résonance avec ses besoins sociaux, maison commune, lieu de citoyenneté, plus accueillant, plus inclusif, plus collaboratif, créatif et innovant. 

Il opère par ailleurs un lien très fort avec le prix « Patrimoines pour tous » quant aux enjeux de l’accessibilité généralisée à nos établissements et, bientôt, nous nous y attelons, en termes d’accessibilité universelle.

A noter : le jury du prix « Osez le musée » accorde une place centrale aux associations nationales de solidarité « Osez le musée », après deux éditions, premiers éléments de bilan En deux ans, 35 musées se sont portés candidats. Si 7 d’entre eux étaient des musées nationaux essentiellement situés en Ile-de-France (puisque seul le MUCEM dérogeait à cette catégorie), 28 relevaient de collectivités territoriales. On peut donc parler d’un éventail de candidatures représentatives de la grande diversité des musées en France et du dynamisme des régions dans les politiques de médiation. En 2017, 5 régions étaient représentées, 9 en 2018. Ces deux premières éditions ont permis de primer et de soutenir financièrement 8 musées de France relevant des collectivités territoriales Par ailleurs, 4 musées nationaux se sont vus attribuer une mention spéciale sans dotation, ainsi qu’un musée de France.

Des politiques et des actions encore difficiles à évaluer On sait de façon empirique que ce panel d’actions participe de la mutation évoquée supra. L’imprégnation de la démarche qualitative est incontestable. C’est-à-dire que dans les musées là où ils sont et avec les moyens dont ils disposent, les équipes font un travail remarquable à l’appui d’une forte conscientisation des enjeux et d’une forte adhésion aux valeurs fondamentales elles aussi évoquées supra. Reste que nous ne savons pas encore mesurer précisément l’incidence et les effets de ces politiques, notamment s’agissant du handicap.

Publics, non-publics, démocratisation : regarder la réalité en face Des données très incomplètes mais qui posent aussi question : c’est un peu un angle mort qui peut expliquer pourquoi nous avons du mal à franchir un cap. L’exemple frappant des lacunes persistantes au plan de la chaîne de déplacement et de l’autonomie de la visite pour les personnes à mobilité réduite.

Pour sortir un peu du champ culturel et patrimonial… Sur les enjeux du handicap, en 2019 en France, la tâche reste immense et nous devons rester humbles.

L’Association des Paralysés de France a mené récemment une campagne remarquable sur tout le territoire pour dénoncer les retards et lacunes accumulés dans la mise en accessibilité de la France : à titre d’exemple, sur les 303 stations du métro parisien, seules les 9 stations de la ligne 14 sont équipées pour les personnes handicapées, soit seulement 3% du réseau.

L’accessibilité généralisée, c’est assurer l’accès des personnes en situation de handicap à tous nos établissements culturels en assurant notamment la chaîne de déplacement.

L’accessibilité universelle, c’est ouvrir en grand les portes des établissements culturels à toutes et tous, sans aucune exclusive ni discrimination, quels que soient la condition et le statut social des visiteurs/publics/usagers, leur situation professionnelle, leur histoire et leur identité, leur singularité, leur position territoriale, leurs difficultés, leur handicap. C’est aussi considérer que ce qu’on aura su faire pour les personnes en situation de handicap ou en difficulté créera une dynamique vertueuse et bénéficiera à tous les publics sans exception.

L’accessibilité universelle, c’est tout simplement la culture pour tous, pour toutes et tous, sans barrière ni tabou. « 

Franck Guillaumet, DGP/DPP/FGU/ 5 juin 2019

Pour aller plus loin :

Pour en savoir plus sur le prix « Osez le musée »

Pour consulter le rapport de la Mission « musée du XXIè siècle »

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