Par Audrey Doyen. Photographies de l’auteure
La semaine du 20 novembre 2017 était chargée au Musée d’ethnographie de Neuchâtel, en Suisse. Le mercredi 22 novembre, le musée entamait en effet la première étape d’une marche qui allait le mener à la réouverture de son espace permanent après deux ans de fermeture et presque dix ans de chantier des collections: mercredi, visite de la nouvelle exposition par les représentants politiques et sponsors; jeudi, conférence de presse ; vendredi, vernissage privé; samedi et dimanche, vernissage et ouverture officielle.
Cette procédure n’est pas habituelle dans ce musée qui, bien que connu et reconnu internationalement, ne s’embarasse généralement pas d’autant d’officialités. Le musée rend en général publiques ses expositions dès le dernier cartel posé, mais cette semaine, l’enjeu était différent: comme le rappelle Marc-Olivier Gonseth, son conservateur, lors du discours d’inauguration, quoi de plus sévère qu’une foule de muséologues, de conservateurs, de scénographes et de chercheurs pour examiner, juger et critiquer leur nouvelle exposition permanente ? Comme ce dernier l’annonce, cette soirée n’est pas un vernissage, c’est un crash test.
“L’impermanence des choses” est un titre élégant et poétique, ce qui semble être le ton de l’entier de l’exposition. Accueilli par un texte d’introduction doré, flirtant avec une dimension que certains trouveront peut-être un peu trop chatoyante, le visiteur est subtilment amené dans le premier des neufs espaces que compose cette exposition permanente. Permanente, vraiment ? Si le musée revendique développer une programmation sur trois axes – les expositions permanentes (liées aux collections et à l’histoire de l’institution, prévues pour plusieurs années), les expositions temporaires (liées à des thématiques plus précises, prévues sur un an) et les expositions ponctuelles (liées à l’actualité, prévue sur quelques mois) – il semble que ce nouveau dispositif rebrasse les cartes de la temporalité expositionnelle: en effet, Marc-Olivier Gonseth souligne la modularité des neuf espaces, conçus pour fonctionner de façon indépendante les uns des autres et appelés à être modifiés régulièrement. L’exposition n’est ici pas envisagée comme un média figé, mais d’avantage comme une œuvre en mouvement, presque un organisme indépendant, assumant totalement la dimension de chaque exposition toujours mouvante. C’était d’ailleurs un des titres envisagés, confie Marc-Olivier Gonseth : “Il faut dire que je terrorisais mes équipes depuis plusieurs mois avec le titre de Métabolisme que je menaçais d’imposer si nous n’arrivions pas à trouver quelque chose de mieux”.
“L’impermanence des choses”, c’est surtout le moyen d’évoquer frontalement la problématique des collections ethnographiques aujourd’hui. Les neufs espaces abordent chacun, de manière séparée, une thématique liée aux collections : dans l’espace Poids, la collection de poids ashanti est prétexte à évoquer le poids des collections muséales, l’espace Au-delà, par quelques clichés de la collection photographique, celui des corps et des gens absents du musée, alors que leurs objets sont bien présents, l’espace Bazar celui des multiples voies d’acquisition des collections et par conséquent leurs objectifs, parfois plus irrationnels que scientifiques. Sans jugement, mais pointant les saillances de ces problématiques, l’équipe du musée a su monter une exposition pertinente et actuelle, sur la base des points forts de ses collections. Comme à son habitude, bien que documentée et didactique, l’exposition n’évacue nullement l’aspect esthétique : la scénographie léchée et aérienne de l’équipe habituelle du musée – Raphaël von Allmen et l’atelier de design Curious Space qui a aussi récemment signé la scénographie de l’exposition Opera au Victoria et Albert Museum de Londres – met en évidence les objets. Ils prouvent que l’on peut traiter le moindre morceau de collection de façon esthétique et évocative, comme en témoigne la suspension des étiquettes des objets qui accueille le visiteur lors de ses premiers pas dans l’exposition.
C’est peut-être là que le bât blesse : comment être poétique sans n’être qu’évocatif ? Certains espaces, et thématiques, laissent le visiteur sur sa faim : les textes sont au final peu présents et n’apportent qu’une information minimale. Les thématiques, vastes et complexes, auraient peut-être gagné à être davantage creusées. En outre, certains dispositifs rappellent les précédentes réalisations du musée, laissant suggérer quelques pannes d’inspiration ou glissements vers la facilité : comme à son habitude, l’exposition est poétique ; comme à son habitude elle est, par conséquent, un peu superficielle à certains égards et peut-être peu compréhensible pour le visiteur peu au fait des problématiques qui traversent le musée d’ethnographie aujourd’hui; comme d’habitude, les objets servent de support à un discours et sont peu mis en valeur pour leur propre intérêt. Comme à son habitude, les références à la propre histoire du Musée et à l’histoire de la muséologie en générale sont nombreuses. Comme le rappelait Marc-Olivier Gonseth lors de son discours d’introduction “les principes muséographiques peuvent être parfois des carcans, des produits dopants ou des lignes de fuite”. Que le MEN se garde d’en faire des habitudes, si l’institution veut rester innovante et exemplaire sur la scène muséographique internationale.