Article de Cindy Lebat d’après un entretien mené le 28 juin 2017 avec Joanny MOTTAGAN, responsable du Service Exploitation de la Réunion des Musées Régionaux (RMR)
Notre rencontre avec Joanny Mottagan, responsable du Service Exploitation de la Réunion des Musées Régionaux (RMR), nous a amené à la (re)découverte de ces musées réunionnais, et à nous interroger sur le fonctionnement et les enjeux du regroupement et de la mutualisation des ressources dont ils sont l’objet.
Dans le cas de la RMR, il s’agit du rapprochement des quatre musées régionaux de l’île de la Réunion :
- le musée Stella Matutina : implanté à Saint Leu, Stella Matutina est consacré à l’histoire du développement de l’industrie sucrière à la Réunion. Le musée a réouvert ses portes au public en juin 2015 après d’importants travaux.
- Kélonia : l’observatoire des tortues marines, également sur la commune de Saint Leu, valorise l’action de protection des tortues à la Réunion, et sensibilise ses visiteurs à l’environnement.
- le MADOI : dernier né des musées régionaux, le Musée des Arts Décoratifs de l’Océan Indien a ouvert ses portes en 2007, sur l’ancien domaine de Maison Rouge à Saint Louis.
- la Cité du Volcan : à la Plaine des Cafres, ce musée présente à travers des dispositifs et une muséographie totalement repensés (le musée a ré-ouvert en août 2014 après 4 ans de travaux) du patrimoine géologique de l’île, notamment en lien avec son volcan.
Le Conseil Régional a fait le choix de rassembler ces quatre musées dans une même structure qui a pris la forme de la Société Publique Locale (SPL) « Réunion des Musées Régionaux » – RMR. mise en place en 2012, dans une optique de mutualiser les ressources et d’harmoniser la politique de développement des musées régionaux de la Réunion.

Musée du MADOI, Saint Louis. Photo ©Mickael Gresset ; Musée Stella Matutina, Saint Leu. Photo ©RMR ; Cité du Volcan, Plaine des Cafres. Photo ©Mickael Gresset ; Kélonia, Saint Leu. Photo ©S. Ciccione
Dans la lignée des grands projets de développement et modernisation de ces établissements (en cours depuis une dizaine d’années) ce rassemblement autour d’une même entité a pour objectif, comme nous l’a expliqué Joanny Mottagan, de définir et mettre en œuvre une stratégie de développement muséal.
Ce type de regroupement, et la logique gestionnaire qui l’entoure, révèle tendance de plus en plus forte dans le secteur culturel, en témoignent les récentes publications à ce sujet (citons à titre d’exemple l’ouvrage de Jean-Michel Tobelem « La gestion des institutions culturelles – 3e éd.: Musées, patrimoine et centre d’art » (2017)).
Quels avantages à penser et mettre en œuvre ce type de mutualisation ?
L’objectif affiché est double : d’une part de développer et enrichir la politique culturelle, mais tout en gardant à l’esprit d’autre part le soucis essentiel d’équilibrage des comptes, qu’il s’agit de garantir.
Toutefois, les risques portés par ce type de structuration – ancrant les musées dans une logique gestionnaire – sont pointés par Jean-Michel Tobelem :
« on observe également une diversification des modes de gestion des services publics (sous la forme de délégations, d’établissements publics, de sociétés d’économie mixtes…), permettant d’échapper aux règles strictes de la comptabilité et du droit publics au profit d’une plus grande souplesse de gestion d’une part ; et permettant, d’autre part, d’associer entreprises, structures et capitaux privés, au risque d’un démembrement de l’administration et d’une confusion sur les missions (servir efficacement les usagers ou gérer à moindre coût) »
Sur le site internet de la RMR nous pouvons néanmoins lire :
« La création de RMR s’est accompagnée d’une volonté politique d’ouverture plus audacieuse, plus innovante pour pouvoir ouvrir davantage, démocratiser et faire mieux connaître les musées régionaux, d’abord auprès des Réunionnais, mais aussi à l’extérieur de l’île. »
La volonté de ne pas s’abstraire de la mission de service public inhérente aux musées régionaux est clairement affichée. Mais comment se met-elle en œuvre, comment se développent les logiques de territoire, de démocratisation culturelle et développement des publics, face à la structuration autour d’une forme rappelant clairement la logique gestionnaire et marchande induite par le besoin de faire face aux contraintes budgétaires liées au contexte économique ?
La stratégie de développement telle qu’elle nous a été expliquée est en lien direct avec les contraintes budgétaires, qui entraînent la nécessité de s’adapter, en faisant notamment le choix de la mutualisation des ressources et des compétences, notamment en terme de communication, etc. Le développement s’oriente ainsi clairement autour d’une stratégie économique incluant la location d’espaces (auditorium de Stella Matutina par exemple), l’accent mis sur les boutiques des musées, l’événementiel : la logique gestionnaire est au cœur de cette nouvelle structure qu’est la SPL-RMR.
Toutefois, comment développe-t-elle malgré tout sa mission de service publique, qui consiste à garantir et faciliter un accès pour tous aux espaces culturels ?
Dans le cas qui nous intéresse, si la circulation des publics et la logique territoriale ne semble pas affichée et portée par le discours gestionnaire de la RMR, des collaborations avec d’autres structures culturelles (théâtres, bibliothèques, etc…) existent et préfigurent une piste à explorer pour ancrer dans le réel la volonté précédemment affichée et citée. De plus, n’oublions pas que chaque établissement conserve une force d’action qui lui est propre, et possède un chargé de la prospection et du développement des publics qui a pour objectif de développer et diversifier la fréquentation. Mais comment la Région peut-elle assurer cette collaboration et cette unité de territoire face au déséquilibre existant, avantageant clairement l’ouest de l’île, où sont rassemblées la quasi totalité des structures muséales régionales ? La stratégie territoriale trouve-t-elle ici ses limites ? Des collaborations avec les musées privés (Musée de la Musique à Hell Bourg…) ou les musées départementaux (musée Léon Dierx, Museum d’Histoire Naturelle, Musée du Sel…) favoriseraient-elles davantage cette circulation des publics ?

Ce constat nous amène à la question suivante, fondamentale : qui fréquente les musées à la Réunion ? Un point qui nous semble essentiel pour développer des actions pertinentes en direction des publics. Des actions d’évaluation et de connaissance des publics et de leurs pratiques pourraient permettre d’affiner les stratégies de développement, notamment en fonction des typologies de publics (par exemple, les touristes représenteraient 30 à 40 % de la fréquentation), mais aussi veiller à assurer un accès pour tous, une ouverture à la fois aux visiteurs réunionnais (notamment par l’accent mis sur les scolaires, largement mobilisés grâce à des tarifications spécifiques et fortement préférentielles), mais aussi les publics en situation de handicap, les publics « famille », etc.

Kélonia, Saint Leu. Photo ©Cindy Lebat
La mutualisation des ressources autour de structures gérées à échelle régionale ouvre donc à la fois des questionnements quant à l’avenir du musée et le maintien des logiques culturelles autour des missions fondamentales de service public, mais apparaissent aussi comme une solution intéressante de travail en réseau et d’harmonisation des discours et volontés. Toutefois, ce regroupement ne peut se faire sans faire face à d’importantes difficultés liées au regroupement de structures qui avaient jusqu’alors des fonctionnement parfaitement indépendant et autonome ; ces difficultés apparaissent tant au niveau administratif (RH) mais aussi sur le plan des pratiques et cultures professionnelles. À ce titre, la RMR apparaît comme relativement jeune, la mutualisation est un processus en cours, dont les effets seront mieux perceptibles à moyens et long terme…
L’occasion pour les Rencontres Muséo de revenir à la Réunion dans quelques années… à suivre !
Références citées:
Jean-Michel Tobelem, La gestion des institutions culturelles musées, patrimoine, centres d’art, S.l., Armand Colin, 2017.