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Impressions d’Afrique*: l’art contemporain africain à la Fondation Louis Vuitton

Par Audrey Doyen. Toutes les photographies sont de l’auteure, sauf mention contraire.

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L’exposition “Art Afrique” proposée par la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 28 août est un puzzle en trois grands chapitres (“Les Initiés”, “Etre là” et “Collection de la Fondation”) dont les pièces – des objets, mais aussi des artistes ou des thématiques semblables – sont réparties dans les étages de l’incroyable bâtiment imaginé par Frank Gehry.

Au cœur du printemps parisien africain (Art Paris au Grand Palais, Africa Now aux Galeries Lafayettes, 100% Afriques à la Villette, etc.), l’ambition de la Fondation est de présenter le désormais dénommé art africain contemporain. L’exposition contribue, tant par son propos même que par la critique et la presse soulevées à son sujet, à faire réfléchir sur ce terme et sur la catégorie qu’il englobe, et par extension, à notre rapport croisé à l’art et à l’altérité.

La tripartition des espaces nous éclaire déjà sur la subjectivité assumée de la sélection : le premier espace, “les Initiés”, est d’ailleurs non pas consacré à un artiste, à une thématique ou à un propos particulier, mais à une sélection d’œuvres du collectionneur Jean Pigozzi. La boucle est bouclée avec l’espace “conclusif” de l’exposition, consacrée aux œuvres de la Fondation Louis Vuitton, démontrant bien par là que c’est la sélection et la formation d’une cohérence thématique par un tiers (particulier ou institution) qui sont mises en valeur au sein de cette exposition.

Ce choix a plusieurs conséquences : celle de morceler dans l’espace les œuvres de mêmes artistes, de mêmes thématiques ou de mêmes techniques, mais aussi de nous rappeller qu’un objet appartient à différentes catégories et peut être classé et réuni avec d’autres objets en conséquence : selon sa technique, sa provenance, son sujet, son artiste, son collectionneur, etc. Dans “Art Afrique”, le visiteur retrouve donc des œuvres de Romuald Hazoumé tant dans le premier espace (elles font partie de la collection Jean Pigozzi) que dans le dernier (les collections de la Fondation en possèdent aussi quelques-unes).

Bien que ce choix de sélection des œuvres ne soit pas original (pour rappel, la Maison Rouge propose aussi un nombre conséquent d’expositions autour de collectionneurs ou de collections particulières), il pose cependant la question de l’importance de la valorisation, notamment économique, de l’œuvre par le collectionneur et de la montée de l’art africain contemporain sur les marchés de l’art. L’algorithme de suggestions de lecture du Figaro ne s’y trompe pas et nous propose de lire, à la suite de l’article sur la Fondation Louis Vuitton, un article bien à propos : “art africain contemporain : c’est le moment d’acheter” (17.11.2016).

C’est que l’œuvre d’art n’acquiert pas sa valeur par des caractéristiques esthétiques absolues : une multitude de critères entrent en jeu. Le critère du collectionneur a été très fortement mis en valeur dans les arts d’Afrique (avec la notion de pedigree de l’œuvre, c’est-à-dire les collections par lesquelles l’objet étant passées attestant de la valeur de ces objets : une statue fang ayant appartenu à Eluard ayant beaucoup plus de chances de se vendre que la même statue n’ayant appartenu qu’à moi-même). Il est cependant aussi bon de se souvenir qu’il n’est pas l’apanage de l’art africain et que cela se retrouve par exemple fortement dans l’art contemporain.

Ici, la mise en valeur des objets par le dispositif muséal est poussée à son paroxysme : dépouillement, contrastes colorés, black box, grands espaces. L’accrochage des masques d’Hazoumé qui accueillent le visiteur à l’entrée est à ce titre exemplaire : si l’œuvre d’art est bien censée être le masque, peu de visiteurs resteront insensibles face au tableau composé par ceux-ci, sur fond bleu : le dispositif – bien que sobre et classique, mais finement maîtrisé – devenant lui-aussi œuvre à part entière.

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Pascale Martine TAYOU. Entrée de l’espace « Les Initiés ». Photographie de l’auteure.

Le deuxième espace, consacré à l’art contemporain de la scène sud-africaine nous rappelle cependant dans les affres de la catégorisation : si la subjectivité des sélections d’œuvres est comprise, l’exposition pose la question de ce qu’englobe l’espace-temps proposé par la dénomination “art africain contemporain” et surtout sa pertinence, la délimitation géographique devenant problématique dès que l’on s’y penche un peu trop : l’adjectif africain s’applique-t-il aux œuvres, impliquant que toute œuvre produite en Afrique est de l’art africain ? S’applique-t-il aux artistes, posant alors la question de “Qu’est-ce qu’être africain?”: l’artiste doit-il être né en Afrique ? Vivre en Afrique ? Avoir une nationalité africaine ? Peut-il être métis ? Pour Jean Pigozzi, la réponse était claire: “Il y avait trois règles auxquelles je n’ai pas dérogé: les artistes devaient être d’Afrique noire, y vivre et y travailler. Il n’y a pas, dans la collection, d’artistes de la diaspora et pas non plus d’artistes d’Afrique du Nord (…). Je m’intéresse aux artistes dont la créativité n’est pas “polluée” par un enseignement transmis par une école d’art, ni par la fréquentation des musées où l’on voit des Renoir, des Klimt, des Picasso. Les artistes de la collection étaient finalement presque tous des autodidactes dont l’inspiration venait à 99% de leur culture”, dit-il à Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Vuitton (“La Fondation Louis Vuitton sur la piste de l’art africain”, par Valérie Duponchelle, 15.05.2017).

La “pureté originelle” qu’évoque Pigozzi comme critère de sélection pose un nombre incalculable de problèmes : comment considérer qu’un artiste “est” d’Afrique noire ? Comment considérer qu’une création artistique est “polluée” ou non par une influence extérieure ? Est-il d’ailleurs possible pour un artiste de ne subir aucune influence extérieure ? D’ailleurs, n’est-ce pas à l’artiste de décider ? Où est sa voix dans ce processus de catégorisation ? Les réponses à ces questions semblent évidentes et montrent à quel point notre vision de l’art africain est encore entachée de représentations stéréotypées et fantasmées d’une Afrique exotique et pure, “intacte” comme l’écrit Valérie Duponchenelle à propos de cette exposition.

L’aspect subjectif de la sélection des œuvres présentées dans « Afrique » n’est pas étonnant et la recherche sur les expositions a largement souligné que toute exposition est un processus de mise en ordre, de classement : exposer, c’est sélectionner puis combiner les éléments choisis. L’exposition produit un sens :

“Every museum exhibition, whatever its overt subject, inevitably draws on the cultural assumptions and resources of the people who make it” (Karp et Lavine, 1991: 1).Mais lorsque la production concerne “l’art des Autres”, l’exposition relève aussi d’un processus de définition du Nous : “When cultural “others” are implicated, exhibition tell us who we are and, perhaps most significant, who we are not” (Karp et Lavine 1991: 15). Le musée est alors une fenêtre sur nos représentations de l’altérité et nous montre ce que l’on choisit de retenir de la diversité, comment elle est catégorisée et montrée.L’exposition “Art Afrique” nous montre au final beaucoup plus du cadre de pensée qui structure le monde de l’art aujourd’hui ainsi que la vision de l’Afrique et de ses productions matérielles que nous en avons : une vision réductrice (peut-être géopolitisée ?), mettant de côté le syncrétisme pour privilégier des entités essentialisées, et passant à coté de la diversité et de la pluralité des possibilités de création.Le contraste entre le bâtiment de la Fondation, résolument contemporain et tourné vers l’avenir, et le propos de l’exposition, encore engoncé dans quelques fantasmes questionnables, est alors beaucoup trop fort pour nous avoir entraîné dans le voyage proposé.* Un titre emprunté à Raymond Roussel, dont l’ouvrage publié à son compte en 1909, nous montre que l’intérêt réside parfois davantage dans le dispositif et la narration que dans l’histoire elle-même…

Et pour aller plus loin:

Karp, Ivan et Lavine, Steven. (1991). Exhibiting cultures: the poetics and politics of museum display. Washington: Smithsonian Institution.

http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2017/05/10/03015-20170510ARTFIG00007-la-fondation-vuitton-sur-la-piste-de-l-art-africain.php

http://www.fondationlouisvuitton.fr

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