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Compte rendu de la table ronde “Les musées en Chine : situation actuelle et perspectives pour la coopération internationale”.

[Illustration : La Tigresse, vase you 卣, 11e siècle avant J.-C., Paris, Musée Cernuschi, Collection en ligne, Paris Musées.]

Publié le 02 février 2024

Besson, Julie

La table ronde a eu lieu le 17 janvier lors du salon Museum Connections. Elle réunissait cinq directeurs de musées chinois et était organisée par l’Association Chinoise des Musées. En parallèle de cette délégation, un pavillon d’exposants était présent parmi les stands.

La Chine connaît un essor considérable dans le domaine muséal : depuis dix ans, un nouveau musée est créé chaque jour. Dans le même temps, une vague de coopération existe avec la France comme le montre le projet du Centre Pompidou à Shanghai, les Rencontres d’Arles à Xiamen… Les cinq interventions ont permis de donner un aperçu global des enjeux du monde muséal chinois autour des enjeux de la technologie, de l’éducation sociale et de la transition écologique.

  1. La pratique chinoise dans la nouvelle définition du musée.

Ma Xiaolin, directeur du musée Henan, présente dans un premier temps les pratiques des musées chinois. Il rappelle la nouvelle définition du musée de l’ICOM. Il présente le développement rapide des musées chinois : fin 2022, environ 6565 musées sont recensés, ce qui fait de la Chine le quatrième pays avec le plus grand nombre de musées. Plus de 20 000 expositions ont lieu chaque année et les musées recensent au total plus d’un milliard de visiteurs par an. Les musées concernent tous les champs : histoire, archéologie, art, écologie… Plus de 90% des musées sont gratuits.

Le musée possède un rôle essentiel dans la vie sociale en Chine. Chaque année, plus de 230 000 actions éducatives ont lieu. Le musée est non seulement un lieu de conservation, mais aussi une école. Le musée a donc pour rôle de transmettre les savoirs et est une plateforme de communication et d’éducation.

Les technologies sont largement utilisées, que ce soit pour la gestion des musées, dans les expositions ou dans les services proposés et ont permis d’améliorer la qualité des services et de la gestion professionnelle. L’accent est mis sur l’expérience visiteur. Le numérique est également utilisé pour créer de nombreuses expositions en ligne, intégrer la danse grâce à la réalité augmentée…

Les musées coopèrent avec différents secteurs : l’éducation, les médias, les produits culturels… des émissions de télévision sont dédiées aux musées. Avec une forte dynamique, les musées chinois ont pour ambition de s’améliorer encore et encore et de contribuer au patrimoine culturel mondial. Ils sont ravis de pouvoir mener des efforts conjoints avec d’autres pays en ce sens.

Ma Xiaolin fait également la promotion de la 10ème édition du salon des musées chinois. Ce dernier aura lieu en août 2024 à Hohhot en Mongolie intérieure. Les professionnels des musées, des produits et technologies associés sont conviés.

2. Panorama du développement des musées de sites archéologiques et les derniers résultats de recherche sur la protection des reliques culturelles.

Li Gang, directeur du musée du mausolée de l’empereur Qin Shi Huang, présente ensuite un panorama des nouvelles technologies appliquées dans les musées de sites archéologiques.

Il revient d’abord sur le développement des musées archéologiques. Ces derniers représentent 3% des musées.

La construction des salles et la scénographie des objets du musée du mausolée de l’empereur Qin Shi Huang  ont eu lieu en parallèle des fouilles. Au-delà des objectifs de conservation et protection du patrimoine, le lieu est devenu un espace culturel et social de la ville et participe au développement économique de la ville et de la région.

Pour illustrer les utilisations des nouvelles technologies dans les musées archéologiques, il utilise l’exemple du musée de Jinsha. Afin de faciliter la compréhension des visiteurs, les techniques de réalité virtuelle et augmentée sont utilisées.

De nombreux sites utilisent les techniques de numérisation, de réalité virtuelle pour reconstituer les scènes préhistoriques et montrer les trésors archéologiques sous formes de photos ou de vidéos.

Il revient ensuite sur le musée du mausolée de l’empereur Qinshihuang. Situé sur le mont Lishan, le mausolée fait l’objet de fouilles et de recherches depuis 60 ans. Il représente une zone de 56 km2. L’armée en terre cuite est présente dans trois fosses. C’est le quartier mortuaire le plus grand de Chine.

Grâce aux nouvelles technologies, la fosse n°2 a été reconstituée en trois dimensions. En 2012, la modélisation tridimensionnelle du char en cuivre a permis de faciliter l’étude de l’aspect et de la structure. Les études archéologiques, combinées à la technologie, ont permis de reconstituer les couleurs de l’armée en terre cuite et de travailler sur les matériaux.

Les technologies 3D facilitent également les expositions. La numérisation de l’armée en terre cuite en 2019 permet de voir en haute définition et en vue panoramique 720° et de distinguer les détails du visage par exemple. En 2022, une collaboration a eu lieu avec le Musée archéologique de Grèce et a permis une exposition virtuelle de l’armée en terre cuite a eu lieu, comme si cette dernière se trouvait réellement en Grèce.

La numérisation propose une rupture dans l’expérience des musées, et permet aux visiteurs de traverser l’espace et le temps. C’est un changement sans précédent pour la création de contenus des expositions. Par exemple, le musée de Sanxingdui propose dans son hall une exposition en réalité virtuelle. Cette dernière permet de traverser les collections de façon agréable. Le musée du mausolée a pu construire une visite virtuelle qui donne l’illusion que le visiteur entre dans la fosse. Une expérience immersive autrement impossible puisque les fosses se regardent de l’extérieur. Les technologies permettent également de mettre des figurines en mouvement, et par exemple de voir un spectacle des artistes des dynasties chinoises.

Pour clôturer, il identifie quatre domaines que l’intelligence artificielle va impacter dans le domaine muséal :

  1. Proposer de nouvelles solutions pour préserver des objets
  2. Permettre des restitutions virtuelles
  3. Rendre les expériences immersives et permettre aux visiteurs d’avoir une proximité avec les objets
  4. Permettre de nouvelles possibilités dans la conception des expositions et le design des parcours.

3.  Aperçu de l’éducation sociale dans les musées chinois.

Zheng Jing, directrice du musée du Grand Canal de Chine, souhaite partager la situation de l’éducation sociale dans les musées depuis les dix dernières années. Elle commence son propos par introduire les chiffres de l’année 2022 :

  • plus de 34 000 expositions
  • plus de 230 000 activités
  • plus de 568 millions de visiteurs
  • plus de 40 000 actions éducatives en ligne

Son intervention est structurée par trois mots-clés : changement, innovation, rupture.

  1. Le changement de la perception de l’éducation

Les dernières années sont marquées par le passage d’une réception passive du savoir à des pratiques pédagogiques plus diversifiées. Les visiteurs participent de plus en plus et construisent avec le musée. Cela permet d’avoir des visiteurs plus divers, et n’est pas adressé qu’aux jeunes. Par exemple, le musée de la culture Wu propose des conférences destinées aux personnes âgées, sur le modèle de l’université. Le musée participe ainsi à une formation toute la vie. Le Musée du Palais Impérial, dans la Cité Interdite, a construit une pièce de théâtre pour le jeune public, actuellement en tournée dans le pays.

L’accent est également mis sur les parcours immersifs, ou même en hors-les-murs, toujours de manière ludique pour inciter les personnes à être curieuses et à explorer le patrimoine.

Enfin, les musées proposent des services ou des contenus inclusifs. Le Musée de Nankin propose une salle et un parcours pour les personnes malvoyantes ou aveugles. Certains musées proposent des salles d’activités d’art-thérapie par la musique ou la peinture.

  1. Innovation dans les contenus

Les contenus deviennent de plus en plus personnalisés. La plupart des musées chinois mettent l’accent sur la culture locale. Le musée du Suzhou propose un espace immersif pour le jeune public, destiné aux enfants et adolescents de 3 à 12 ans. Le musée du verre de Shanghai propose un labyrinthe de verre : 113 miroirs, 8 sorties possibles pour un parcours d’une vingtaine de minutes. Ce dernier permet de connaître les différentes caractéristiques du verre tout en essayant de sortir du labyrinthe.

Les expositions se construisent désormais avec ce type d’actions éducatives.

En 2022, le musée Hangzhou a collaboré avec des artisans et des écoles pour proposer un parcours destiné aux enfants de 7 à 11 ans autour de la dynastie des Song. Les enfants et adolescents ont ainsi pu explorer la gastronomie, le commerce et les technologies de la dynastie. Tous les sens ont été mobilisés.

Le musée du Grand Canal propose également un parcours immersif. Il s’agit d’un escape game qui a obtenu un prix international de l’innovation en termes d’éducation au musée. Destiné aux visiteurs de plus de 12 ans, le scénario a été conçu pour faire apprendre l’histoire de façon ludique. Tous les participants ont un dossier et doivent résoudre le mystère. Ils sont dans un espace de 500m2 avec 8 puzzles et plus de 30 activités interactives.

4. Réalisations en matière d’application technologique dans les musées chinois

Li Wen Chu, Directeur du musée de Luoyang, présente ensuite des réalisations technologiques dans les musées, appliquées dans tous les domaines, de la gestion du musée, à la recherche, au marketing, etc. 

Le gouvernement chinois a publié plusieurs réglementations pour promouvoir les innovations technologiques pour la protection du patrimoine culturel et pour la numérisation des musées. Ce plan de développement est au niveau national : on observe une véritable vague du numérique et plus de 85% des musées ont numérisé des artefacts. Il y a donc de nombreux objets disponibles sur des bases de données en 3D. Par exemple, le musée de la Cité Interdite – un des plus grands de Chine – a numérisé plus de 900 000 artefacts (sur 1,8 millions) dont 100 000 sont en haute définition. Les vues 720° ont pu intégrer une application qui, complétée par les données historiques, permet d’explorer la cité interdite.

Le Musée de Nankin utilise une plateforme de visualisation des données et métadonnées qui permet d’optimiser et de fournir une base de décision pour les gestionnaires du musée, pour la disposition des objets dans l’exposition par exemple.

De nombreux musées proposent également des versions in situ de leurs expositions en ligne : c’est le cas du musée de la soie ou du musée de la province de Zhejiang, qui a créé une exposition immersive à partir d’une exposition créée pour être en ligne. De la musique des scènes interactives ont ainsi pu être ajoutées. Le musée du pinceau et de l’encre de Shanghai propose une exposition virtuelle sur un calligraphe du 16e siècle. Les informations historiques sont complétées par des cartes interactives, de l’audio pour entrer dans la vie de l’artiste.

Ainsi, les technologies s’appliquent dans de nombreux domaines. Tout en permettant la préservation des biens culturels, elles permettent aussi de rendre les expositions plus vivantes.

5. Inter-applications technologiques et innovantes dans les musées chinois.

Wang Zhiqiang, directeur du musée du Palais impérial du Régime de Mandchourie, présente ensuite les collaborations technologiques entre les musées chinois. Il commence par présenter le musée du palais impérial du régime de Mandchourie, fondé en 1962. Depuis les cinq dernières années, le musée utilise des technologies innovantes pour renforcer les capacités opérationnelles du musée. Ils possèdent un centre de données en temps réel : plus de 4760 capteurs sont dans le musée et collectent des données. Les personnes chargées de la collecte et de l’analyse des données sont devenues centrales dans le musée.

Les musées de taille petite et de taille moyenne ont souvent moins de budget, de personnel et une capacité opérationnelle plutôt faible. Environ 4000 musées sont dans ce cas en Chine. Les grands musées ont alors un rôle à jouer en coopérant. Comment renforcer cette coopération ?

Dans la province de Jilin, un projet est en cours pour “illuminer le patrimoine”. Les musées aident à renforcer l’opérationnel avec des outils comme le Saas sculpted dragon cloud operation platform, utilisé pour l’aide à la décision. La coopération porte aussi sur l’accueil des visiteurs, la barrière linguistique et l’analyse des données des visiteurs. Les outils avec l’intelligence artificielle sont des facilitateurs pour créer du contenu et explorer de nouvelles possibilités. Les coopérations ont d’ailleurs permis à des musées d’accueillir plus de visiteurs, notamment étrangers (originaires de Russie, du Japon, etc…).

La parole est ensuite donnée au public. 

Laurent Dondey, Chargé de Mission-Business Development du Grand Palais Immersif souhaite savoir quelle est la répartition des publics dans les musées chinois. Zheng Jing explique que les statistiques actuelles montrent que les adolescents représentent la majorité du public. C’est un phénomène agréable à voir car les musées sont des institutions ouvertes sur le futur. Ils collaborent également avec d’autres institutions (écoles…) pour accueillir les futures générations. Les musées souhaitent mettre l’accent sur les personnes âgées, en prenant en compte leurs besoins. D’autre part, les familles sont également importantes : pendant les vacances, les familles viennent au musée. C’est un phénomène qui a notamment explosé cet été.

Une question est ensuite posée sur la conception des expositions patrimoniales, afin de savoir si le sujet est choisi pour un public particulier et notamment adolescent. Zheng Jing explique que cela dépend des musées et que la tendance est à la diversification. Le musée du Grand Canal utilise les technologies et produit des expositions immersives pour les jeunes, car ils sont une grande partie du public. Des enquêtes ont d’ailleurs été menées pour savoir ce qui leur plaît : ils apprécient le jeu et le numérique. En effet, soumis à beaucoup de pression, ils aiment jouer, découvrir et partager avec leurs amis. C’est pour cela que des escape games sont conçus. Ils utilisent également les réseaux sociaux, pour partager des photos, leurs classements, leurs performances lors d’activités au musée. Elle constate que les ouvrages muséaux chinois sont surtout académiques et qu’il serait intéressant de publier plus d’ouvrages éducatifs pour présenter les contextes historiques et rendre les jeunes plus curieux de lire les publications. Pour elle, les entreprises françaises et européennes proposent d’excellents ouvrages et elle estime que des coopérations pourraient avoir lieu dans ce domaine.

Une question est ensuite posée sur le budget des jeunes et leur capacité à payer. Il est expliqué qu’en France, il est parfois difficile d’attirer des jeunes pour cette raison. Ma Xiaolin rappelle que la grande majorité des musées chinois sont gratuits. D’autre part, les parents mettent l’accent sur l’éducation et sont enclins à financer des produits culturels. Il fait le constat que les filles constituent la plus grande partie du jeune public.

Une question porte sur l’équilibre entre exposition physique et virtuelle. Ma Xiaolin explique que ce sont surtout les grands musées qui s’essayent aux expositions virtuelles. Cela demande beaucoup d’investissement et le budget est souvent un problème pour les musées.

La question suivante porte alors sur le financement : qui finance des investissements lourds, en sachant que les entrées sont le plus souvent gratuites ? Ma Xiaolin explique que les investissements sont moins financés par l’Etat que par les autorités locales. Plus une province se porte bien, plus il y aura de financements. Certains musées vendent aussi des produits culturels, dont les bénéfices sont réinvestis pour financer les expositions. De plus, il explique que les expositions immersives attirent des publics différents si elles  exposent ou non des objets. Les publics de connaisseurs ont tendance à préférer les expositions avec des objets, tandis que les jeunes s’orientent vers des expositions immersives sans objets.

Pour aller plus loin

 Chinese Museums Association. (2023). Chinese Museums Today. EDPSciences.

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