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Compte rendu de la table ronde “Jeunes participants & musées : visions, attentes et retours d’expériences”

Publié le 26 janvier 2024

[Illustration : Jean-Baptiste Lesueur, Famille allant à la guinguêtte, entre 1793 et 1794, Paris, Musée Carnavalet, Collection en ligne, ]

Besson, Julie

Le 16 janvier 2024, durant le salon Museum Connections, a eu lieu la table ronde “Jeunes participants & musées : visions, attentes et retours d’expériences.”.

Intervenant.e.s

  • Florence Sayag-Morat, Cheffe de projet Médiation Culturelle au Centre Pompidou
  • Victor Carvalho Moutinho, Volontaire Art Session, Centre Pompidou
  • Nelly Odin, Chargée du public scolaire au MUCEM
  • Lucien Pin, Membre du Collectif Ascagne
  • Sophie Barrett-Pouleau, Tate Collective Producer
  • Michael Irwin, Curateur, Young People’s Program, Tate
  • Annabelle Türkis, modératrice, Consultante indépendante et curatrice des conférences Museum Connections

La table ronde avait pour objectif de donner la parole aux jeunes investis dans des programmes participatifs dans des musées. 

En effet, ces programmes se développent de plus en plus depuis les années 1990. Ils consistent en des groupes de jeunes, le plus souvent entre 18 et 25 ans, accompagnés par des représentants des musées. La taille des groupes est variable, pouvant aller d’une dizaine à plus d’une centaine en fonction des institutions. La durée de l’investissement varie, d’un ou deux ans à des durées plus longues. Des temps de rencontres sont organisés régulièrement pour partager, échanger, concevoir des actions, donner des avis, participer de manière active à la programmation du musée en produisant des événements, rencontrer des artistes ou des commissaires… C’est également l’occasion de faire découvrir des métiers et d’accompagner à l’entrée dans la vie professionnelle à travers des systèmes de mentorat ou d’alumni.

La table ronde cherche à comprendre quel engagement ont les jeunes à travers ces actions, ce qui les pousse à participer et ce qu’ils en retirent. Trois duos professionnels – jeunes étaient présents lors de cette table ronde : autour du projet de commissariat participatif au MUCEM et de deux projets où les jeunes participent à la conception des événements et à la vie institutionnelle avec le Centre Pompidou et la Tate.

Quels sont les objectifs de chaque projet ?

Nelly Odin, chargée du public scolaire au MUCEM, introduit le collectif Ascagne. Constitués d’une dizaine de personnes entre 18 et 25 ans, ces derniers participent à l’élaboration de la prochaine exposition Images de la Méditerranée, qui ouvre en juin 2024. Engagés depuis trois ans, ils ont choisi le nom Ascagne en référence au personnage de la mythologie gréco-romaine, traversant la Méditerranée suite à la prise de Troie. Dans le cadre du projet, ils proposent un regard critique et nouveau sur les œuvres. Ils ont d’ailleurs sélectionné eux-mêmes des objets pour l’exposition.

Ensuite, Florence Sayag-Morat, cheffe de projet médiation culturelle au Centre Pompidou, présente le dispositif Art Session. Les objectifs de ce dernier sont de développer et diversifier les publics de jeunes dans l’institution, en les invitant à œuvrer pour l’accès à l’art. Le groupe est le plus hétérogène possible : constitué d’étudiants, de jeunes actifs ou de personnes en césure. Ils sont quatorze, de nationalités et d’âges différents. Ils se réunissent deux lundis et un dimanche par mois, soit sept heures par mois, qui s’adaptent bien sûr en fonction des disponibilités de chacun. Ils peuvent rester autant de temps qu’ils le souhaitent, certains restant jusqu’à trois ou quatre ans. Durant leur participation, ils sont invités à faire des expertises en tant que visiteurs des expositions, à participer à la programmation avec des commissaires – comme pour le festival Hors Pistes – et à intervenir lors d’événements face au public.

Michael Irwin, curateur de Young People’s Programmes pour la Tate, présente le projet. Le groupe est constitué d’environ 150 jeunes entre 15 et 25 ans, ils sont les Tate Collective Producers. Ils sont engagés via des appels diffusés à des partenaires, des associations, de manière à avoir un panel divers et représentatif. “Pour les jeunes, par les jeunes” : le but est de rendre la voix des jeunes plus visibles au sein des musées et de rendre les institutions plus pertinentes pour eux. C’est parfois un challenge et cela nécessite des approches variées, à la Tate Modern, une collection plus contemporaine ou à la Tate Britain, une collection plus moderne. Le programme leur permet de rendre le musée plus accessible et leur donne un grand sens d’appartenance !

Comment recruter les jeunes participants ?

Nelly Odin explique que le MUCEM a lancé un appel via les réseaux sociaux du musée, ce qui a permis de recruter dix personnes. Ils se réunissent au moins une fois tous les deux mois et sont environ six à continuer aujourd’hui. Le Centre Pompidou a procédé de la même manière, via les réseaux sociaux, mais a constaté que les jeunes qui les suivent ont déjà une sensibilité à l’art. L’équipe a donc été au-delà des réseaux, avec des associations du champ social pour recruter des jeunes qui viennent d’autres horizons. 

La parole est ensuite donnée aux jeunes : quels sont leurs rôles et à quel type de projets ont-ils contribué ?

En tant que Tate Collective Producer depuis cinq ans, Sophie Barrett-Pouleau a contribué à l’organisation de plusieurs Late at Tate Britain, des soirées qui permettent de découvrir les collections d’une autre façon avec des workshops organisés par les jeunes.

Volontaire Art Session au Centre Pompidou, Victor Carvalho Moutinho rappelle les valeurs du collectif : le partage, la découverte et la passion. Ils sont souvent rassemblés pour mener des critiques des expositions et donner des retours pour les améliorer, construire des ateliers, dont certains avec le jeune public, aller à la rencontre d’autres jeunes via les dérives artistiques, organiser des performances, voire même participer à des podcasts.

Lucien Pin, membre du collectif Ascagne depuis deux ans, explique que le projet les amène à être en binôme avec un conservateur du musée. Ils découvrent des métiers et des missions peu montrés au public et qui semblent inaccessibles. La rencontre avec les collections les a amené à choisir un objet pour la future exposition. Il a, pour sa part, choisi une céramique de l’épave Lomellina.

Qu’est-ce qui les a motivés à participer à ces projets ?

Pour Lucien Pin, c’est la curiosité de pouvoir découvrir ce type de projet culturel et le fait que cette possibilité soit offerte. Victor Carvalho Moutinho a découvert le programme lors d’une discussion avec une ancienne collègue du studio d’une artiste où il a fait un stage. Souhaitant continuer à réfléchir autour de projets culturels et artistiques, ce sont les valeurs, l’engagement et le fait de sentir utile, de mener quelque chose qui a du sens qui l’a poussé à s’inscrire. Sophie Barrett-Pouleau a intégré le programme par un recrutement sur recommandation. Alors qu’elle ne connaissait pas le programme, elle a tout de suite adhéré aux missions. Dans une période où elle n’était pas sûre de ses choix de vie, cela lui a permis d’organiser et de mener des événements dans le domaine des musées et du patrimoine et de devenir la commissaire indépendante qu’elle est aujourd’hui.

En tant que volontaire, quels ont été les moments marquants et quel impact ont-ils eu sur eux ?

Pour Sophie Barrett-Pouleau, l’organisation du premier Late at Tate Britain a été un déclic. L’organisation de cet événement, avec des performances et des workshops, a réuni plus de 1000 personnes. Sa motivation et son ambition ont été stimulées et cela l’a encouragé à continuer ce travail de groupe et à explorer cette voie individuellement. Grâce à l’accompagnement, aux retours et au mentorat, elle a compris qu’elle pouvait être ambitieuse et proposer des projets artistiques innovants. Elle a appris à gérer des projets sur le plan budgétaire, marketing, du commissariat et même de la sécurité.

Grâce à l’expérience au MUCEM, Lucien Pin  a découvert le monde de la recherche et a décidé de s’y engager, même si cela n’est pas dans le domaine culturel. L’expérience lui a aussi permis d’apprendre à regarder les œuvres.

Pour Victor, Art Session a confirmé son orientation et son intérêt pour le milieu de la médiation et de la programmation culturelle.

Florence Sayag-Morat rappelle que c’est une expérience personnelle qui permet avant tout la rencontre d’un collectif, la désacralisation du musée et des artistes. En fonction de chacun, les impacts peuvent également se ressentir sur la vie professionnelle : c’est le cas d’un ancien membre qui a migré d’études de sciences politiques vers des études artistiques et est devenu assistant d’artiste et performer professionnel.

Michael Irwin confirme ce propos. Avec plus de 300 alumni, il a constaté que beaucoup développent des pratiques artistiques, soit personnelles, soit professionnelles. Le programme donne sens tant pour un développement social, à travers une cohésion de groupe, que pour un développement professionnel. Cela permet aussi de rendre la Tate plus accessible, confortable et chaleureux.

Ces programmes ont-ils un impact sur les pratiques dans les musées ?

Michael Irwin reconnaît qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour impacter les pratiques. Selon lui, il faudrait que plus de jeunes viennent aux expositions, prennent la carte de membre de la Tate. Il y a cependant une ligne fine entre une institution qui collabore avec des jeunes et une institution qui les exploite. Il faut y faire attention et veiller à leur donner du crédit. Travailler avec eux est essentiel, car ils apportent fraîcheur, ambition et créativité, ce qui peut aider à changer la vision du musée.

Quelle est la vision que portent les jeunes sur l’institution muséale d’aujourd’hui et du futur : est-ce une institution importante ?

Lucien Pin considère que le musée est évidemment une institution importante, qui laisse une grande place pour le partage de connaissances et la curiosité. Grâce aux musées et à la mise en scène des objets, les œuvres sont dévoilées. Il faut les rendre plus accessibles aux jeunes, à travers les réseaux sociaux, notamment Tik Tok qui touche un auditoire plus vaste que ceux qui ont déjà un intérêt, et avec des pratiques tarifaires, pour les étudiants et pour les jeunes qui commencent leur vie professionnelle.

Sophie Barrett-Pouleau ressent le besoin d’avoir plus de dialogue intergénérationnel au musée et de participation des publics. Ce, de manière à ce que les collections parlent plus aux publics et que ces derniers soient impliqués et se sentent bienvenus, avec de nouvelles façons d’interagir avec l’institution. C’est une partie du travail mené avec les Tate Collective Producers.

Victor Carvalho Moutinho apporte son témoignage et celui de ses camarades d’Art Session et du Projet Les Escales. Ils considèrent les musées comme un lieu important, qui œuvrent pour la préservation du patrimoine culturel et la sauvegarde du temps. Ce sont des lieux de société, avec un fort potentiel d’éducation pas assez exploité.

Quelles recommandations donneriez-vous aux professionnels qui souhaitent s’engager dans des démarches de participation?

Pour Nelly Odin, le plus important est de réussir à tenir dans le temps. Le projet de l’exposition a été décalé d’un an et demi. Il a alors fallu redéfinir le contenu de l’exposition. Il ne faut également pas oublier que c’est un engagement bénévole, une présence complice mais non professionnelle.

Pour Florence Sayag-Morat, il faut avoir de la force humaine au sein d’une équipe car c’est un projet qui demande du temps. Il faut une volonté stratégique à l’œuvre. Il faut également être à l’écoute des jeunes : de leurs idées, de leurs inquiétudes. Elle constate qu’ils ont été affectés par la pandémie et que les institutions ont plus que jamais un rôle à jouer.

Elle remercie également l’équipe de la Tate qui l’a formée à travailler avec des groupes de jeunes en 2007 et qui possède un immense professionnalisme pour ce type de projets.

Michael Irwin recommande de rendre les actions des jeunes et leur impact visibles, et ce à travers l’institution. Il faut faire et construire avec eux.

Si vous aviez un seul vœu ou une recommandation pour les musées, quel serait-il ?

Lucien Pin recommande d’élargir les tarifs étudiants à des tarifs jeunes ou jeunes travailleurs. Lors d’un travail avec des bénévoles, de conserver une bienveillance et une adaptabilité pour le planning et le programme, qui s’ajuste avec les études ou les emplois de chacun.

Sophie Barrett-Pouleau rappelle que la programmation doit être faite en co-construction avec les jeunes : il ne faut pas assumer ce qu’ils veulent mais leur donner un espace pour que leurs voix soient entendues et leurs besoins satisfaits. Il faut également être ouvert à investir dans les programmes de participation afin que ces derniers durent dans le temps et ne soient pas qu’une action à un moment donné.

Victor Carvalho Moutinho dit qu’il ne faut pas voir les jeunes participants comme des vacataires en plus, mais souligner leur rôle de volontaire, qui apportent des réflexions intelligentes sur les musées et communiquent leurs attentes. Ils portent les mots d’un de ses camarades en rappelant que les porteurs de programmes doivent être réceptifs aux idées des jeunes, leur offrir des espaces dans les expositions et un cadre pour des critiques constructives.

La parole est ensuite donnée au public : une personne s’interroge sur pourquoi les programmes de participation sont plus présents en Angleterre. Florence Sayag-Morat souligne qu’en France, le bénévolat est bien considéré pour les œuvres caritatives et humanitaires mais moins dans le domaine culturel. Hors, de jeunes volontaires s’engagent régulièrement et cela produit des échanges intéressant humainement.

Une autre personne demande quelles sont les relations avec les structures d’éducation pour avoir des participants. Florence Sayag-Morat rappelle que le recrutement est assez large pour avoir un groupe divers.

Quelqu’un demande si les institutions obtiennent les effets escomptés pour attirer les jeunes. Michael Irwin estime que les programmes permettent d’abord de changer la réputation des musées, en montrant que les jeunes ont une place dans les institutions. Les effets se ressentiront probablement à long terme.

Une question est posée sur le cadre légal des volontaires en France. Au MUCEM, les volontaires ne sont pas contractualisés, il s’agit d’une action citoyenne. Les échanges font relever qu’une charte d’engagement serait intéressante. Les volontaires sont défrayés pour leur repas et leurs déplacements. Au Centre Pompidou, les jeunes volontaires ont un statut juridique via un contrat d’engagement de collaborateur occasionnel. C’est une convention d’engagement réciproque qui liste les engagements des deux parties et protège les jeunes en cas d’accident sur le site. Ils bénéficient également du badge professionnel, qui leur permet d’avoir l’accès à la bibliothèque par exemple.

Enfin, une dernière question est posée à Victor Carvalho Moutinho sur le potentiel sous-estimé des musées pour les jeunes : que proposerait-il pour les faire venir ? Il souligne d’abord l’accessibilité tarifaire pour les jeunes, mais également les personnes en situation de précarité. La communication par le Pass Culture est une action qui peut aider en ce sens. Il insiste ensuite sur les actions de médiation envers les jeunes, l’importance de les rendre acteurs.

Pour en savoir plus

Collectif Ascagne : https://www.mucem.org/collectif-ascagne

Art Session : https://www.centrepompidou.fr/fr/art-session 

Tate Collective Producers : https://www.tate.org.uk/tate-collective/producers

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