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De l’incarné au virtuel : le musée en temps de crise.

[Image : Anonyme, Intérieur du musée des monuments français, salle du XVème, n°6. Musée Carnavalet, Histoire de Paris. Collections en ligne de Paris Musées]

Suite au confinement et à la fermeture des lieux de rassemblements, dont les musées, depuis le 17 mars 2020, les injonctions à la réflexion ou à la production abondent dans la sphère muséale. Tandis que les uns invitent et incitent à se saisir de cet épisode pour méditer sur la situation actuelle du musée et développer une introspection, une réflexion globale sur les enjeux de son avenir (Mairesse, 2020 ; Winkin, 2020), d’autres, au contraire, s’activent à déployer le musée en ligne. Visites et expositions virtuelles, discussions téléphoniques, livrets à télécharger, stories Instagram, jeux « participatifs », les musées tendent à submerger leurs usagers de contenus protéiformes pendant que les réseaux sociaux, les professionnels ou la presse généraliste et spécialiste s’en font les relais.

De l’ubiquité du musée

Le musée, afin de « résister » à la crise actuelle et de pallier l’absence de ses usagers, semble s’engager dans une quête de l’ubiquité. Cette présence virtuelle des musées, paroxystique et tentaculaire, entraine dans son sillage de nombreuses observations et interrogations.

Ainsi, l’une des nombreuses conséquences de la situation est la désincarnation d’une institution qui a adopté depuis plusieurs années un paradigme polysensoriel et corporel. L’absence des usagers et de la plupart des professionnels dans les musées fragilise immanquablement le fonctionnement induit par ce modèle. Comment envisager de proposer une expérience muséale à la fois immersive et sensorielle à un usager virtuel lorsque l’environnement muséal, composé d’une succession de paysages sensoriels, est remplacé par celui d’une chambre ou d’un salon ? Comment s’exposer en tant que « musée incarné » par ses usagers lorsqu’il est impossible de les y faire entrer ? L’expérience commune du musée est également mise en difficulté : qu’en est-il de la participation et de la réciprocité dans l’échange entre les professionnels et les usagers ? En définitive, la rencontre entre le musée, ses usagers et entre les usagers eux-mêmes peut-elle actuellement subsister ?

Le retour contraint au paradigme visuel

Cette crise force le musée à retourner progressivement à son ancien modèle, celui du « musée traditionnel » (Macdonald, 1993). Vidé de ses habitants, il replonge, nécessairement, dans une omnipotence du visuel et fait à nouveau de la vue le principal mode d’appréhension de ses collections, renonçant ainsi à l’usager au profit du visiteur. Cette reprise pose, inévitablement, la question de l’accessibilité des collections : comment rendre accessible, au plus grand nombre, un musée désormais uniquement virtuel ? Comment, par exemple, rendre une visite virtuelle accessible aux publics malvoyants, à des personnes médicalisées ou à celles qui subissent la fracture numérique, l’illectronisme touchant près de 17% de la population française ? Faut-il constater dans l’omniprésence et la réactivité des musées en ligne, l’envie de faire de cette crise un « tournant muséal », celui au cours duquel la place de l’institution serait réévaluée dans le paysage socio-culturel occidental ?

Et après ?

L’avenir de l’institution muséale se pense peu à peu, s’organise. Le Réseau des organisations européennes de musées (NEMO) a ainsi lancé au cours du mois de mars une vaste étude afin de cartographier « les effets du Covid-19 sur les musées en Europe » et permettre une réponse adéquate à la crise systémique qui en émane. Certain.e.s professionnel.le.s invitent dès à présent « à inventer de nouveaux modes de partage et de travail collaboratif » (Chanas, 2020) et à « repenser en profondeur » le numérique, même si « rien ne remplacera une action de proximité » (Chaumier, 2020). Cette proximité doit par ailleurs être, elle aussi, revue. Comment envisager la rencontre physique entre le musée et ses usagers de « l’après-Covid-19 » ? Le retour du visuel ne serait-il qu’un détour hygiénique ? Les actions sensorielles et corporelles pourront-elles être à nouveau organisées ou, au contraire, faudra-t-il se distancier sur le temps long et investir l’espace muséal différemment ? Le musée portatif connaîtra-t-il un regain d’intérêt et le musée s’invitera-t-il davantage chez ses usagers ? Les dynamiques possibles sont donc multiples et variées pour faire définitivement émerger le musée du 21e siècle à la suite de cette crise.

Bibliographie

CHANAS, Céline. (2020). « Fédérés pour surmonter, tous et ensemble, la Fems agit pour ses adhérents », Distances (recueil d’articles de l’Ocim). Disponible en ligne.

CHAUMIER, Serge. (2020). « Le public plus que jamais au centre du musée », Distances (recueil d’articles de l’Ocim). Disponible en ligne.

MACDONALD, Sharon. (1993). « Un nouveau « corps des visiteurs » : musées et changements culturels ». Publics et Musées, n°3, 1993, p. 13-27.

MAIRESSE, François. (2020). « Profiter du calme avant la tempête ». Distances (recueil d’articles de l’Ocim). Disponible en ligne.

WINKIN, Yves. (2020). « Vers une reconfiguration totale du champ muséal ». Distances (recueil d’articles de l’Ocim). Disponible en ligne.

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