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Compte rendu de la table ronde “Patrimoine : diversifier les usages pour se développer et (re)créer du sens”

Publié le 12 février 2024

[Illustration : Anonyme français, 19ème siècle, Le Château des archevêques, Reims, Musée-Hôtel Le Vergeur (inv. 2008.0.38), Photo : © Franck Boucourt]

Besson, Julie

Intervenant.e.s :

Sarah Hugounenq, modératrice, journaliste indépendante, chercheuse

Olivier de Lorgeril, Président, La Demeure Historique

Josy Carrel-Torlet, Directrice du développement économique, Centre des monuments nationaux

Cécilie de Saint Venant, Directrice de la communication, de la marque et du mécénat, Domaine national de Chambord

La table ronde a eu lieu le 17 janvier lors du salon Museum Connections. Elle interroge la question du modèle économique et de la soutenabilité des lieux patrimoniaux. Il est question des usages, de la pérennité des modèles et du besoin d’appropriation par la communauté locale.

Les intervenant.e.s sont invités à présenter leur structure et des exemples d’usages.

Cécilie de Saint Venant présente le domaine de Chambord. Ce dernier est souvent vu au prisme du château, mais il possède un domaine de 5500 hectares dont 1000 sont ouverts à la visite. Des activités sont ainsi proposées : des ateliers autour de la biodiversité, des formations autour de la permaculture, des postes de pêche… Il s’agit de s’approprier un lieu avec des usages inattendus et qui ont du sens par rapport aux propos pédagogiques et culturels.

Josy Carrel-Torlet présente ensuite les différentes expérimentations au Centre des Monuments Nationaux. Elle rappelle que le CMN représente 110 monuments dont 80 sont ouverts au public et qu’il gère 89 cathédrales. Le CMN existe depuis 110 ans. Ses missions premières sont bien sûr la préservation des monuments, l’accueil du public et la programmation d’actions culturelles et pédagogiques. Les usages diffèrent et il y autant d’exemples que de monuments. Par exemple, le château de Villers-Cotterêts propose des formations en langue, des ateliers/résidence pour les artistes… Les deux tiers du monument ne sont pas encore ouverts, donc des usages sont à inventer. Certains lieux sont des tiers-lieux, ouverts au public comme à Châteaudun ou fermés au public comme au Château de Jossigny. Certains proposent des restaurants, de la location de bureaux ou accueillent les dons du sang. C’est une manière de s’approprier les monuments différemment.

Olivier de Lorgeril présente ensuite La demeure historique. Il s’agit d’une association qui fête ses 100 ans en 2024 et qui regroupe les propriétaires et gestionnaires de monuments historiques. La moitié d’entre eux sont ouverts et possèdent une activité économique. Les usages ont su évoluer entre visites traditionnelles, habitats insolites, conservatoires, viticoles, zoo… Chaque monument trouve sa personnalité. Cela permet également de faire des expériences immersives : par exemple, en ayant un jardin, il est possible d’aller “du potager à l’assiette” avec le chef cuisinier et le jardinier en petits groupes.

Pourquoi avoir commencé à proposer de nouvelles activités et nouveaux usages dans les monuments historiques ?

Il ressort que c’est à la fois un besoin économique et une réponse aux envies des publics.

Josy Carrel-Torlet explique que les monuments du CMN accueillent des activités variées : chantier de réinsertion, pool artisanal à moindre coût pour des acteurs locaux, don du sang…Chaque monument doit faire sens dans son territoire et être cohérent. 

Elle rappelle que les monuments accueillent 11 millions de visiteurs, dont 40% bénéficient d’un tarif gratuit. Le budget du CMN fonctionne par un système de péréquation : c’est-à-dire que les monuments positifs alimentent les négatifs. Economiquement parlant, il y a un vrai besoin, car en tant que maître d’ouvrage, les coûts de travaux sont importants. Le CMN travaille également avec le secteur privé : plus de 500 conventions sont établies. La question économique est là, bien sûr, mais elle rappelle l’ambition d’être au cœur des usages et des besoins des publics.

Cécilie de Saint Venant suggère d’assumer une proposition de tourisme culturel, non pas au détriment de la qualité scientifique, mais plutôt en installant des gammes de services qui correspondent à l’identité d’un site. Lors de l’établissement d’un plan sur cinq ans, il faut se mettre dans la peau d’un visiteur pour savoir quoi programmer et quand. L’offre est ainsi de saison, et se fait avec des acteurs locaux. Le château propose par exemple des ateliers taille de pierre tous les mercredis après-midi et pendant les vacances scolaires. Il ne faut pas craindre de rassembler une offre de service culturelle et touristique.

Sarah Hugounenq évoque que le patrimoine s’envisage sous plusieurs prismes avec l’émotion, l’appropriation et la transmission. Elle demande ensuite si des usages peuvent trahir les monuments.

Olivier de Lorgeril explique que lors d’accompagnement des propriétaires gestionnaires, il ne faut pas opposer économie et usages. Il y a une réalité existentielle : un bâtiment prend sens et n’existe que s’il s’intègre localement. L’association possède de bons interlocuteurs avec le ministère de la Culture mais n’a pas encore de collaborations avec celui du Tourisme. Il faut développer des partenariats, notamment avec des passeports ou en réseaux comme les Audacieux du Patrimoine. Cela permet également des échanges de bonnes pratiques. Il ne faut cependant pas oublier la réalité économique de l’entretien de tels monuments.

Ensuite, est abordée la question des limites des usages : est-ce que certains participent à une banalisation du monument ?

Cécilie de Saint Venant commence, en évoquant notamment les goûters d’anniversaire au château. Elle explique que ce concept est une idée venue en interne. Lors des goûters, trois thématiques sont possibles : autour de l’aménagement du logis du roi, autour de l’architecture ou autour de la taille de pierre. Une salle est décorée avec des ballons, un goûter bio est servi et un médiateur met en place l’atelier pour quinze enfants avec l’aide de deux parents. L’activité permet de vivre des moments festifs dans le lieu. Elle explique que cela permet une autre approche du monument et notamment, de ne pas subir un choc esthétique trop fort. Souvent, cela donne envie de revenir et intègre le monument dans le quotidien. Elle termine en rappelant que le principal risque est de proposer quelque chose qui ne correspond pas à l’identité du lieu.

Josy Carrel-Torlet aborde ensuite la question des limites techniques ou déontologiques. Elle explique que la restauration amène des contraintes : la cuisine au feu de bois n’est pas possible, avec des contraintes d’évacuation, d’extraction avec les hottes aspirantes. Un véritable investissement est demandé aux concessionnaires pour proposer une cuisine adaptée et du terroir. Ce sont des partenariats auxquels il faut veiller tout au long des contrats. Lors de locations ou de tournages, il faut faire attention aux thématiques et ce sont souvent des événements intrusifs en équipe technique et en matériel. Concernant les soirées privées, certains monuments peuvent s’y prêter et d’autres non. Les mariages sont interdits au Panthéon par exemple.

Ce mouvement de diversification peut-il conduire à une justification de la réduction du financement du patrimoine ?

Olivier de Lorgeril explique que non, qu’il faut continuer à développer les financements pour l’entretien des monuments. L’accompagnement au titre de la protection des Monuments Historiques et les subventions sont une contrepartie de la servitude et de la limitation de la valeur d’usage. Le Ministère de la Culture, les DRAC et les architectes du patrimoine agissent comme des partenaires, plutôt que des censeurs.

Josy Carrel-Torlet rappelle qu’au-delà du modèle économique, ces nouveaux usages répondent également à des demandes des publics. Lieux de culture et de patrimoine, ce sont également des lieux de vie, intergénérationnels et protéiformes. Un lieu accueillant une entreprise privée, de l’art contemporain, des événements de musique électronique ou classique s’ancre dans la société et permet de faire comprendre que le patrimoine appartient à tous.

Cécilie de Saint Venant explique que les acteurs sont lucides et que c’est un risque. L’impression que ce développement de ressources suffit, pour autant, l’aide de l’Etat est essentielle. L’EPIC du Château de Chambord s’autofinance à 90% du budget de fonctionnement. Un quart des visiteurs sont accueillis gratuitement : c’est à la fois un atout – et un principe – et une contrainte économique. C’est un travail tout en finesse que d’assumer de diversifier les ressources tout en étant prudent sur l’absence de réductions des financements. L’objectif n’étant pas la rentabilité, mais de pouvoir financer d’autres projets. C’est une chance de ne pas avoir besoin de se rentabiliser.

Olivier de Lorgeril interagit en précisant que les propriétaires privés ont besoin de la rentabilité pour pouvoir réinvestir, tant dans l’attractivité que dans l’entretien du monument.

Quelles temporalités pour tester de nouveaux usages ?

Cécilie de Saint Venant explique que cela peut-être rapide pour expérimenter et tester mais qu’il faut attendre plus longtemps, quatre à cinq ans, pour s’intégrer dans le paysage.

Olivier de Lorgeril explique que le secret des monuments est le taux de revisite. Pour cela, il faut investir et réinvestir, tous les trois ans pour (re)susciter de l’intérêt.

Josy Carrel-Torlet confirme qu’il faut penser en termes de revisite, tant dans l’événementiel que dans les parcours. Les besoins en financement sont tels qu’il faut programmer dans le temps. Il faut également faire un travail de proximité avec le territoire.

Vient ensuite les questions du public : une question est posée pour savoir si un travail en réseau sur des projets ainsi qu’un partage de bonnes pratiques existe. Il est précisé qu’il existe un groupe sur la diversification des ressources au Ministère de la Culture.

Une personne demande les actions menées au niveau de l’accueil de personnes handicapées au Château de Chambord. Cécilie de Saint Venant explique qu’un travail est mené, mais que concernant certains handicaps physiques, des difficultés existent par rapport au bâtiment et aux travaux qui peuvent être autorisés ou non.

Une question se demande s’il existe des exemples de projets co construits avec la population. Cécilie de Saint Venant présente le projet Chambord et nous : les habitants ont été invités à transmettre des souvenirs issus de leurs fonds personnels. La récolte permet de construire une exposition itinérante, avec un catalogue, qui montre l’appropriation du bâtiment. Elle circulera dans les villages de la communauté de communes.

Josy Carrel-Torlet explique qu’une rénovation de parcours en co-construction est en cours et implique la population locale et notamment les enfants.

Olivier de Lorgeril expose que plusieurs monuments s’appuient sur des associations d’amis pour animer le monument. Il présente ensuite le château de Carneville. Une communauté a été créée autour pour le faire vivre et l’intégrer dans le territoire. L’ancienne boulangerie a été restaurée et vit grâce à un boulanger. Les ruches ont également repris vie, une saine émulation a été créée. En Mayenne, le château de Linières a été acquis par un metteur en scène. Avec la population locale, il crée une association et démocratise l’opéra lyrique dans le monument.

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