[ Illustration : Attribué à Berjon Antoine, Portrait en pied d’une femme tenant une lettre, vers1800, Paris, Musée Cognacq-Jay, le goût du XVIIIe, Collection en ligne, Paris Musées ]
Animation de la séance : Isabelle Martinez est formatrice, auteure et conférencière de Bien-être au musée, Chargée d’action culturelle au Musée d’Art moderne de Paris, référente jeune public et référente du pôle Bien-être au musée.
Organisation de la séance : Lina Uzlyte, postdoctorante à l’Université de Reims (CRDT/ Cerlis), cofondatrice de l’association Mêtis avec Marie Esther Huber, muséographe, chargée de documentation au musée national de la Marine, équipe des bénévoles de la 2e édition du Festival de la muséologie, 2023.
Lors de l’atelier donné dans le cadre du Festival de la muséologie, les participant.e.s ont observé et exercé la contemplation, technique spécifique pour regarder les œuvres exposées au musée.
L’atelier s’inscrivait dans la 2e édition du Festival de la muséologie et avait pour objectifs : d’expérimenter la contemplation d’une œuvre d’art collectivement ; ainsi que de situer cette pratique dans les pratiques de la visite muséale, de mener une réflexion sur le ressenti physique et émotionnel aux différentes étapes de l’exercice, de cerner les évolutions dominantes dans la perception de l’œuvre durant l’exercice et après, mais aussi de revenir sur les thématiques chères à l’association Mêtis depuis sa création en 2017. Le sujet de la contemplation avait, en effet, été traité lors d’un cycle de conférences « Les musées à contrecourant » et la Journée de recherche action menée en 2018, en collaboration avec le Musée d’Art moderne de Paris et la Cité de l’architecture et du patrimoine, autour d’une œuvre de Zao Wou-Ki, « Espace et Silence ». Si, en 2018, nous étions préoccupés de mieux comprendre le stress et la fatigue muséaux ainsi que d’imaginer des échappées possibles, lors du Festival de la muséologie en 2023 nous avons cherché à nous « absorber » davantage dans l’observation active, attentive et guidée de l’œuvre et de nos états intérieurs cette fois devant une calligraphie de Hassan Massoudy, intitulée « Qui peut conter l’histoire des cœurs qui saignent ? ».
Partant de la problématique ancienne, formulée dans un essai Musée imaginaire par André Malraux (1947), que la contemplation artistique et l’exposition des œuvres au musée étaient irréconciliables, puisque la jouissance des œuvres d’art était d’abord liée à leur isolement, nous avons pu confronter la calligraphie – opération intellectuelle – à la formule « sentir pour voir » avec l’interrogation : peut-on vraiment apprécier une œuvre d’art, sans pouvoir la restituer dans son contexte historique, artistique, politique et culturel en amont et immédiatement ?
L’atelier s’est déroulé en quatre parties :
- présentation des participants et leurs intérêts particuliers
- présentation de la pratique de la contemplation au musée
- exercice de la contemplation devant l’œuvre
- restitutions de l’expérience vécue .
La présente restitution vise à rendre compte des principales étapes traversées alors, afin de permettre un approfondissement, pour chacun, de la pratique de la contemplation au musée. Que soient ici remerciées toutes les personnes qui ont participé à l’organisation et au bon déroulement de l’atelier et qui ont contribué à cet écrit.
Méthode collective de la contemplation face à l’œuvre
Visites contemplations conçues par Isabelle Martinez, formatrice, auteure et conférencière de Bien-être au musée, Chargée d’action culturelle au Musée d’Art moderne de Paris, référente jeune public et référente du pôle Bien-être au musée. Elles sont mises en place au sein du pôle « Bien-être au musée », les ateliers « Wutao au cœur de la contemplation », des méditations sensorielles face aux œuvres, des slow visites sont ouvertes à tout public (enfants, parents et bébés, adultes, personnes en situation de handicap, jeunes en difficultés…) depuis vingt ans. Dès lors, Isabelle développe ces activités sur d’autres sites de l’EPPM par le biais de partage d’expériences, connaissances et d’interventions : au musée Bourdelle et au musée Carnavalet.
Il s’agit d’un ensemble d’exercices fonctionnels face à l’œuvre, dont la pratique met en jeu le corps dans sa relation au monde environnant. La pratique de contemplation au musée, face à une œuvre d’art déterminée, vise à faciliter l’équilibre à un psychisme envahi par l’agitation ou épuisé. Il est à noter que le terme contemplation ne s’applique pas, dans ce contexte, à une expérience spirituelle, telle qu’on peut la rencontrer dans les grands traités mystiques. Contempler veut dire tâcher de rejoindre le goût du silence, l’aptitude à la sérénité et accéder à la démarche artistique par nos sens, en contournant les moyens traditionnels de la lecture du cartel et du texte explicatif.

Procédé : médiation participative face à l’œuvre
Situé au croisement des pratiques artistiques et des pratiques de recherche, tout le monde en face du tableau, nous avons commencé l’exercice. Il nous a fallu noter intérieurement les premières pensées venues à l’esprit par rapport au tableau observé, puis de bien étaler nos pieds et d’imaginer qu’ils étaient posés sur du sable fin, en sécurité, mais en même temps dans la douceur.
« Dans ce rapport à la terre et à l’enracinement qui vous soutient, je vais vous proposer de remonter le long de vos mollets, de vos jambes et en même temps que vous défassiez mentalement petit à petit les tensions que vous pouvez ressentir. Laissez- vous respirer-inspirer-expirer tout le long de votre corporalité, comme si vous respiriez des pieds à la tête. N’hésitez pas d’aller dans une inspire, de l’exagérer un petit peu et sentez votre respiration qui fait une boucle. La respiration n’est pas rapide, elle est lente. En boucle. Sentez vraiment cette spirale à l’intérieur de vous. Essayer de sentir son rythme, sa résonance. Maintenant, essayez de contacter le geste de l’artiste, puis les couleurs. Quelles sont les couleurs ? les couleurs dominantes ? les nuances des couleurs ? Quelles sont les sensations que vous amènent ces couleurs ? Je vais vous proposer maintenant de fermer les yeux et de regarder ce tableau, les yeux fermés. Vous suivez le chemin les yeux fermés, votre chemin, votre voyage, toutes les sensations tactiles, le contact avec la matière, la rencontre avec les couleurs, avec les gestes… Quelle ambiance ? Ressentez-vous l’œuvre dans sa globalité ? La percevez-vous dans sa globalité ? Laissez vraiment cette œuvre voyager à travers vous… Je vous demande d’ouvrir les yeux de nouveau et de comparer entre ce qui est resté intérieurement et ce que vous avez retenu finalement, intégré ou bien déformé à l’intérieur de vous. »
Échange et synthèse
Des exemples vécus peuvent être regroupés selon trois axes dominants, qui sont les points d’ancrage de cette recherche action vis-à-vis à l’œuvre en exposition : avoir confiance en ses ressentis, rejoindre l’artiste dans son geste, faire place aux autres dans la découverte de l’œuvre.
Démarche : lire le cartel vs se fier à ses propres sens ?
Selon les témoignages des participants, la pratique de la contemplation, vécue collectivement et encadrée par une experte, a tendance à confirmer la pertinence du recours aux sens pour faire surgir l’émotion afin de la mettre au service des savoirs, de la même manière que l’ont observé, lors de visites olfactives, Julie Deramond et Nolwenn Pianezza dans l’article « Avec les odeurs, vous pouvez réveiller des choses… Lorsque l’émotion s’invite dans la visite guidée au musée d’art », paru dans le n° 36 de la revue Culture et Musée, en 2020. Ainsi nous avons pu nous rendre compte qu’accorder une place à l’émotion et la mettre au cœur du dispositif de médiation culturelle lors de la visite guidée, certes, peut facilement susciter des méfiances quant aux expériences des filtres imposés. En revanche, le mouvement affectif guidé favorise une certaine disposition du visiteur envers l’œuvre, le rend plus disponible, à la fois à lui-même (par l’introspection), à l’autre (par l’échange) et à l’œuvre (par le commentaire et le débat). Ceci impacte largement la temporalité de la visite et ouvre un espace favorable à l’apprentissage de l’émerveillement face à l’œuvre exposée.
Une technique permettant de rejoindre l’artiste dans son geste ?
Dans notre expérience de visiteurs, comprendre la démarche artistique préoccupe en premier lieu, mais que pouvons-nous en déduire pour apprécier son résultat ? Sur ce point, la technique de la contemplation, guidée et expérimentée collectivement, nous a invités à reconsidérer notre rapport à l’œuvre et aux conditions de son existence dans l’espace commun et partagé, tout en préservant l’intimité de chacun dans son système de croyances. Nous avons pu observer comment cette démarche encourageait le travail sur nos propres référents dans le domaine abordé et permettait d’observer les modalités de la création dans l’espace public, telles que les décrit Christine Delory-Momberger dans son article « Le geste artistique, son apprentissage et sa professionnalisation ».
Le sens : vivre l’œuvre seul ou avec les autres ?
Enfin , le ressenti des participants de l’atelier « Contemplation » tendait à confirmer également ce que nous savons de l’expérience d’Isabelle cumulée pendant vingt ans face au public des jeunes enfants – des « bébés visites » au Musée d’Art moderne de paris et à l’Abbaye de Maubuisson, ainsi que de la recherche portant sur les expériences des bébés au musée, développée par Sylvie Rayna : ce qui est vrai pour les tout-petits l’est tout autant pour les adultes : apprécier les œuvres individuellement ne suffit pas pour intégrer le savoir-être au musée. Il est important de le pratiquer collectivement pour en profiter pleinement.
Références bibliographiques :
Deramond Julie et Pianezza Nolwenn (2020), « ‘Avec les odeurs, vous pouvez réveiller des choses…’: lorsque l’émotion s’invite dans la visite guidée au musée d’art », Culture & Musées [En ligne], n° 36, mis en ligne le 23 novembre 2020, consulté le 06 décembre 2023, https://doi.org/10.4000/culturemusees.5547
Delory-Momberger Christine (2019), « Le geste artistique, son apprentissage et sa professionnalisation », Le sujet dans la cité, 8, 73-84, https://doi.org/10.3917/lsdlc.hs08.0073
Malraux André (1947), Psychologie de l’art : Le musée imaginaire, éd. Skira, Genève, 1947.
Rayna Sylvie (2022), Les bébés au musée. Pourquoi ? Comment ?, Paris, éd. Érès, https://doi.org/10.3917/eres.rayna.2022.01

1 réflexion au sujet de “Restitution de l’atelier : « Pratique de la contemplation au sein des méthodologies de la recherche en muséologie »”