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Les outils de médiation mis à disposition du public déficient visuel.

[Illustration : Paul-Albert Baudoin, Voûte du péristyle du petit palais, vers 1910, musée des beaux-arts de la ville de Paris, Collection en ligne, Paris Musées ]

Parion, Irène

Aujourd’hui encore, et malgré la loi de 2005 en faveur de celle-ci, l’accessibilité reste difficile pour les publics spécifiques. Nous avons consacré notre étude au cas des personnes déficientes visuelles afin de tenter de comprendre quelle était l’offre culturelle qui leur était proposée, par le biais des outils de médiation, et comment améliorer ces derniers.

Handicap et accessibilité, une évolution progressive

La loi de 2005(1), succédant à celle de 1975(2), a constitué un cap en matière d’accessibilité. En effet, elle oblige les établissements recevant du public (ERP) à s’adapter au public en situation de handicap. Elle a permis un changement des mentalités, mais aussi une évolution des obligations légales pour la prise en compte des personnes touchées par le handicap. Dans le domaine institutionnel, cette prise en compte du public handicapé est visible avec la création, en février 2001, de la commission nationale Culture-Handicap(3), qui aboutira à la signature en juin 2006 de la convention nationale Culture-Handicap(4).

Introduction

Cet article est issu de notre travail de recherche réalisé dans le cadre d’un mémoire de master 2, intitulé “Le rôle du guide conférencier auprès du public déficient visuel”, s’intéressant aux outils de médiation mis à disposition de ce public spécifique, à la posture que le guide doit adopter face à ces personnes mais aussi à la manière dont il peut influer sur l’expérience de visite. Nous avons choisi ici de nous consacrer particulièrement au premier point, évoqué plus haut, à savoir les outils de médiation. Dans cette optique, il convient de rappeler également les pistes envisagées par les actes du colloque « Handicap visuel et exposition » qui s’est tenu en 2016 à la Cité de la musique, pour le domaine qui nous intéresse : les musées. Ils nous rappellent le plan d’action mis en oeuvre par le ministère de la Culture et de la Communication en faveur de l’accès des personnes handicapées à l’offre culturelle. Les critères essentiels d’un projet d’accessibilité sont les suivants: « – l’indispensable travail de concertation des acteurs; l’élargissement du projet d’accessibilité au-delà de l’enceinte de l’établissement pour garantir la « continuité de la chaîne du déplacement »; la nécessité absolue de concevoir une accessibilité, en cohérence avec le projet architectural, culturel et scientifique de l’établissement; la prise en compte dès l’amont du projet de l’ensemble des besoins des personnes quelle que soit leur situation de handicap. »

Cependant, le public déficient visuel reste relativement méconnu de nos jours, et recouvre des réalités diverses. De même, comme le rappelle Louis Nadau dans son article « Au Louvre, des visites sensibles ouvertes aux aveugles et malvoyants »(5), les musées ne font pas partie des plus zélés pour faire respecter l’agenda des aménagements d’accessibilité demandés par la loi de 2005.

Ces deux points font partie des raisons pour lesquelles nous avons trouvé important de nous y intéresser. Quelles sont aujourd’hui les ressources destinées à cette population dans levdomaine de la médiation ? Se révèlent-elles pertinentes ? Comment les améliorer ? Ces interrogations résument le cheminement de notre réflexion pour tenter d’établir un panorama des initiatives existantes pour ce public spécifique.

Les outils de médiation

1. La méthode tactile

Quels sont donc ces outils de médiation mis au service de ce public ? Nous avons trouvé pertinent le fait d’appréhender de manière sensorielle les oeuvres. En effet, il est à noter que la méthode tactile par exemple, si elle très présente dans les esprits et aisément sollicitée lorsqu’on parle de déficience visuelle, n’est pas forcément la solution la plus adaptée, ni la seule à se révéler pertinente. En effet, ce sens permet, certes, une compensation non négligeable pour des personnes aux yeux affaiblis, mais elle peut devenir une véritable frustration.

En effet, si la méthode tactile peut sembler évidente de l’extérieur, il n’en est rien. Elle n’est pas innée et s’apprend de manière progressive, à l’aide d’un thérapeute ou encore d’un guide spécialisé, dont le rôle sera d’enseigner, avec bienveillance, les rudiments de la navigation tactile, consistant à appréhender une oeuvre, un artefact, une maquette… etc. du bout des doigts. Il est donc important de noter que pour les personnes ayant perdu récemment la vue, cet outil sera loin d’être une évidence, tout au moins au départ.

louvretactile

© Musée du Louvre

Cependant, le toucher permet aussi une certaine variété dans la façon d’aborder l’oeuvre. Ainsi, les oeuvres en deux dimensions peuvent être retranscrites par la diversité des matériaux et textures utilisées tandis que celles en trois dimensions peuvent se comprendre par le truchement d’une maquette, de petits objets ou reproductions d’artefacts, comme le montre cette photo de la galerie tactile du Louvre.

De même, le toucher donne accès à un espace tactile relativement étendu puisqu’il est possible d’utiliser les deux mains, voire les bras ou encore le corps. Nous ne sommes alors plus très loin de l’accès global à l’oeuvre permis par la vision. Il devient donc plus facile pour une personne déficiente d’évaluer l’échelle de l’objet, ses grandes lignes, sa structure… Un autre aspect primordial est à garder à l’esprit : le processus de compréhension d’une oeuvre pour une personne atteinte de déficience est inversé par rapport à celui d’une personne voyante. En effet, quand cette dernière va contempler un tableau dans son ensemble avant de s’attarder sur les détails, l’autre aura besoin de toucher, du détail vers le global, afin de permettre la construction d’une image mentale. La méthode tactile possède donc le grand avantage d’offrir des repères indispensables à la compréhension d’un objet ou d’une oeuvre d’art. Le rôle du conférencier dans cet apprentissage de la méthode tactile ne doit pas être omis non plus(6).

2. La description

Quant à la description, elle permet de solliciter l’imagination et de faire entrer dans le réel. Ainsi, l’audioguide permet un accès direct au contenu explicatif puisque bien entendu, lire un texte est devenu très ardu, voire impossible pour une personne déficiente visuelle. La méthode auditive est alors employée pour compenser le déficit visuel. Les structures de présentation visuelle, et spécialement les musées, proposent ainsi des audioguides dont les commentaires sont enrichis par rapport à la version standard. Ces outils insistent ainsi sur l’appréhension par « imagination » et « projection » de l’objet commenté pour se le représenter dans son ensemble (ou dans les détails). Ensuite seulement, après avoir apprivoisé en quelque sorte l’objet ou le monument, la personne pourra écouter les informations classiques d’audioguide, à savoir le contexte historique, les références stylistiques(7)… etc.

Enfin, dans le cas d’une visite guidée(8), le discours transmis par le biais du conférencier ou du casque d’audiodescription, se révèle donc fondamental, et sa pertinence est un enjeu essentiel d’une expérience culturelle concluante pour le public déficient visuel. En ce sens, le rôle du guide est primordial lors de ces visites dédiées.

3. L’ouïe

En plus du toucher et de l’outil descriptif, l’ouïe semble également être un sens très sollicité pour compenser une vue défaillante.

En somme, l’ouïe constitue donc, dans un premier temps un « palliatif » pour permettre de mieux voir, elle rejoint alors la description. Cette dimension est très notable, comme l’évoque Céline FavyHuin, co directrice de Feelobject et conceptrice du boîtier Virtuoz(9), permettant aux personnes malvoyantes de se repérer dans un lieu public grâce à des informations sonores :

« La personne découvre peu à peu le plan de manière tactile, ce qui lui permet de visualiser mentalement les lieux. Puis, lorsqu’elle appuie sur le symbole, des informations sonores sont délivrées. Elles peuvent concerner le nombre de marches, la luminosité d’un endroit, la difficulté d’un accès… Ce boîtier lui permet donc d’envisager des déplacements plus fluides, en toute sérénité, et de gagner en confiance et en autonomie. (…) Comme je vous l’expliquais tout à l’heure, lorsque nous appuyons sur les symboles, des informations sonores enrichissent la compréhension (par exemple, toilettes : à droite côté homme, à gauche côté femme…). »

D’ailleurs, comme le toucher, l’ouïe est un des sens auxquels on recourt le plus naturellement dans le cadre d’une déficience visuelle.

Dans le cas de visites dédiées, il ne s’agit pas de l’ouïe « fonctionnelle » que nous venons d’évoquer, ou bien celle employée pour écouter une description, mais plutôt de son aspect ludique et esthétique. En effet, concernant l’outil audio, différents processus sont possibles lors d’une visite guidée ; l’intervention du conte notamment, avec la richesse d’interprétations qu’il offre, peut être très intéressante. Contrairement aux idées reçues, le conte n’est pas un genre littéraire réservé aux enfants. Dans le cadre de ces visites dédiées, il être un excellent moyen d’accéder au contenu d’une exposition, de manière à la fois concrète et sensible. En effet, le discours employé, tout en donnant de nombreux détails renseignant sur le contexte historique, le lieu d’origine d’un artefact, d’une oeuvre sculptée ou picturale… etc. sollicite énormément l’imagination et peut inviter à entrer dans une certaine atmosphère onirique.

virtuoz

© Feelobject

4. Les correspondances sonores, musicales et littéraires

Ainsi, le conte est un outil très intéressant et original pour faire entrer les personnes déficientes visuelles dans une autre dimension au cours de la visite, mais ce n’est évidemment pas le seul… En effet, il peut être pertinent de jouer sur les correspondances et les frontières entre divers arts, comme la musique et la littérature.

En outre, l’approche multi-sensorielle de l’oeuvre se révèle fondamentale pour répondre à la sensibilité de chacun. L’objectif des « correspondances » est de faire entrer en résonance le tableau avec son contexte historique et artistique, de créer des liens entre les différents médiums. En diversifiant les supports et les modes d’accès à l’oeuvre, il devient possible de faire comprendre l’esprit dans lequel cette dernière a été pensée et réalisée. La part intangible du tableau, qui ne peut être transmise par le discours descriptif, peut alors être révélée au visiteur.

Pour illustrer cette idée, le compte-rendu des actes du colloque de mai 2011 du Musée de la Musique, « Handicap visuel et exposition » donne l’exemple suivant(10) :

  • La « Passion selon Saint-Jean » de Jean-Sébastien Bach peut être aisément diffusée devant « La montée au calvaire » de Rubens. En effet, l’apogée de la musique baroque atteinte avec cet artiste trouve un écho parfait dans la composition dramatique de l’artiste flamand, constituée de lignes obliques et empreinte d’une profonde théâtralité.

En revanche, comme le souligne Pierre Duvinage, responsable UNADEV des bénévoles pour la région Aquitaine, ayant une grande expérience auprès de ce public, il faut veiller à ne pas employer trop de médiums pour la même oeuvre, sous peine de noyer le visiteur dans un excès d’informations :

« Je pense que c’est une histoire de dosage pour avoir un petit plus. Il faut faire attention à la surcharge d’informations, le visiteur ne peut pas se concentrer sur trop de choses en même temps, il ne doit pas y avoir trop d’éléments à écouter ou sur lesquels se focaliser. »

Conclusion

Enfin, comme nous l’avons spécifié, ces outils de médiation dédiés au public déficient visuel, peuvent être d’une grande richesse et demandent à être davantage développés de nos jours. Cependant, cela ne saurait se faire sans la présence du guide-conférencier. Ce dernier, en plus de créer un contexte favorable d’écoute et d’échange comme avec un public classique, doit également tenir compte de certaines contraintes et spécificités inhérentes à ce public. En effet, il doit réfléchir d’autant plus à des questions concernant en premier lieu la logistique, sachant que ce public est plus facilement fatigable, mais aussi à la façon de s’adresser à lui en prenant en compte sa sensibilité, son éventuelle frustration, en donnant davantage de détails lors d’une description… L’importance du discours est également primordiale. Ainsi, au lieu de la neutralité, nécessaire avec un public classique, il est justement préférable que le guide fasse preuve de subjectivité pour être en mesure de transmettre davantage les émotions, particulièrement dans le domaine des correspondances de tout type, évoquées plus haut. Cette étude nous a permis de comprendre une idée particulièrement importante, qui résume bien le rôle du guide auprès de ce public. Ce dernier doit en effet rechercher sans cesse un certain équilibre, issu d’une empathie raisonnée, d’une grande capacité d’adaptation, ainsi que d’un discours bien subtil ; empreint de bienveillance mais dénué de la volonté d’infantilisation.

Notes :

  1. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
  2. Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000333976 [consulté le 26/07/2018].
  3. La commission nationale Culture-Handicap est une structure de dialogue et de consultation entre les ministères chargés de la culture et des personnes handicapées, les principales associations de personnes en situation de handicap, les personnes handicapées elles-mêmes et le milieu culturel et artistique. Sa mission principale est de proposer des mesures, dans tous les domaines concernés, notamment l’accès aux équipements, à la pratique artistique, à la formation et enfin aux métiers de la culture. http://www.culture.gouv.fr/handicap.
  4. Se référer au site : http://www.culture.gouv.fr/handicap/.
  5. Voir https://www.la-croix.com/Culture/Expositions/Au-Louvre-visites-sensibles-ouvertesaveuglesmalvoyants-2016-01-31-1200736579.
  6. En effet, au cours des visites guidées dans lesquelles sont présents des éléments tactiles, il peut, en plus du rôle d’accompagnateur, être celui qui « initie » à la navigation. Il parait nécessaire par exemple, que le guide, au cours de sa formation, soit accompagné par un ergothérapeute afin de se rendre compte du côté pratique de la navigation, des conseils éventuels à donner aux visiteurs. De même, sur un plan plus relationnel, le guide doit trouver le bon ton à employer face à ces personnes aux profils divers, oscillant entre non-voyants de naissance et malvoyants tardifs. Il doit également pouvoir initier en douceur et respecter la sensibilité de la personne, être pédagogue sans être péremptoire.
  7. https://culture-communication.fr/fr/accessibilite-le-handicap-visuel/.
  8. Ou bien du spectacle vivant audiodécrit.
  9. Cf. https://www.feelobject.fr/fr/solutions.
  10. http://www.citedelamusique.fr/pdf/insti/recherche/handicap/111124_coll_handi.pdf, p. 40.

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