Publié le 22 novembre 2024
[ Illustration : Marie Gabrielle Capet, An Allegory of Lyric Poetry, 1811, New York, Metropolitan Museum of Art, Open Access ]
Animation de la séance :
- Ludovica Corrias, Cheffe de projet culturel et innovant au Centre des monuments nationaux
Introduction
Lors de l’atelier, tenu dans le cadre du Festival de la Muséologie le 24 mai 2024, les participant.e.s ont réfléchi, individuellement et en groupe, aux rôles et au fonctionnement des musées à travers le prisme de l’écoféminisme.
Cet atelier faisait partie de la troisième édition du Festival de la Muséologie, qui visait à explorer la thématique de la sobriété dans les musées en la mettant en perspective avec les notions d’innovation, de renoncement et de ralentissement. Le festival permettait également de revenir sur certaines thématiques abordées par l’association Mêtis de création en 2017.
L’écoféminisme, en reliant les préoccupations écologiques aux questions de justice sociale et de genre, offre un cadre intéressant pour réinventer les musées. Ainsi, lors de cet atelier, nous nous sommes posé la question de ce qu’un « musée écoféministe » devrait être. Comment les musées se positionnent-ils face à des mouvements radicaux comme l’écoféminisme ? Et comment devraient-ils répondre à des groupes militants qui remettent en question l’ordre établi, tant politiquement que socialement ?
Concernant l’atelier, ce dernier s’est déroulé en plusieurs parties :
- Présentation de l’animatrice et des participant.e.s sous forme d’une « météo » du jour.
- Présentation de la recherche de Ludovica Corrias sur « Musées et activisme : des nouveaux modèles de musée écoféministe »
- Exercice n° 1 – Redéfinir le rôle du musée au vu des revendications de justice sociale
- Exercice n° 2 – Appliquer les principes écoféministes au sein du musée : une évolution organisationnelle
- Restitutions des échanges
- Mise en contexte : musée et activisme
Mais qu’est-ce que l’écoféminisme ?
Il est ce mouvement complexe, à la croisée de l’écologie, du féminisme, de la justice sociale. Emergé dans les années 1970 et 1980, grâce notamment, aux travaux de militantes et théoriciennes, ce mouvement radical et marginal part du constat que l’oppression des femmes et la destruction de l’environnement sont étroitement liées, souvent issues d’une même logique patriarcale et capitaliste sur le vivant.
Le mouvement écoféministe au sein des musées intègre une variété de luttes qui reflètent les principaux défis du monde culturel, notamment la diversité, l’inclusion et l’accessibilité. Les musées adoptent désormais des politiques culturelles favorables, transformant ainsi ces lieux en espaces de débat et d’activisme. Toutefois, cet activisme est critiqué car il ne remet que partiellement en question les modes de fonctionnement et le rôle des musées.
Ainsi, en comparant le fonctionnement des groupes militants ou des festivals écoféministes, il a été possible pour Ludovica de déterminer quatre principes écoféministes essentiels qui pourraient être appliqués aux modes de fonctionnement des musées, ce qui permettrait de remettre en perspective leurs rôles et leurs fonctionnements :
- L’éloignement et la dissidence vis-à-vis du système capitaliste et patriarcal
- L’intersectionalité
- L’autogestion et l’autosuffisance
- L’accessibilité et l’inclusion

L’objectif de l’atelier « Oser l’avenir : redéfinir les musées à travers l’écoféminisme » était de susciter des échanges et des discussions entre les participants sur cette thématique. À travers deux exercices et tout au long de cet atelier, ces questions ont été abordées collectivement dans le but de repenser le rôle des musées, d’explorer de nouveaux récits et de trouver des actions concrètes pour les rendre plus accueillants, voire un peu plus révolutionnaires !
- Restitutions des échanges
Lors de ces deux exercices, après avoir illustré quelques exemples clés, une période de réflexion individuelle de 5 minutes est demandée aux participants. Ils sont libres d’indiquer sur des post-it des exemples, des notions, ou leurs réactions. Cela permettra d’avoir, lors de la restitution des cartes, des pistes de réflexion pour nos lieux de travail actuels ou futurs.
- Redéfinir le rôle du musée au vu des revendications de justice sociale
Au terme de ce premier atelier, plusieurs constats et propositions ont émergé, soulignant la nécessité de repenser le rôle des institutions muséales.
D’abord, il est crucial de reconnaître que les associations militantes sont souvent marginalisées par la hiérarchie des musées, reléguées à des positions secondaires et « dissimulées derrière des paravents ». Le musée ne doit pas être un lieu d’invisibilisation, mais plutôt un espace où la parole peut être librement exprimée, sans être étouffée par des contraintes institutionnelles. Cependant, de nombreux musées refusent encore d’aborder les enjeux sociaux qui leur sont présentés. En contrepartie, des propositions de création des musées ou d’expositions par et pour des communautés minorisées et/ou locales ont été faites. Dans les parcours permanents et la création de nouveaux musées, l’importance d’ «archiver les luttes» a également été soulignée (ex. Musée Queer (Schwules Museum), Berlin).
Certains participants ont également souligné le potentiel des musées comme lieux de mémoire et d’action collective. Pourtant, ces institutions ne sont pas suffisamment perçues comme « des outils au service des populations » pour défendre leurs causes. Pour favoriser une approche plus inclusive, il a été proposé de promouvoir des commissariats participatifs et variés dans les expositions, afin de briser le rapport vertical entre les institutions et le public, et d’ouvrir la voie à une multiplicité de voix et de récits alternatifs (ex. Podcast Femmes Battantes à l’expo Paris Citoyennes).
Dans cette perspective, il est essentiel de déconstruire le fonctionnement traditionnel des musées, souvent perçu comme sacré et vertical et dont le rôle serait d’ «éduquer», pour laisser place à des mouvements plus dynamiques et contestataires, dans la réflexion collective. Le musée doit s’ouvrir à tous les âges et à toutes les catégories de la population, en favorisant une démarche d’inclusion et de coconstruction de nouveaux récits. La présence de mouvements comme l’écoféminisme au sein des musées offre également une opportunité d’autocritique, en permettant de questionner les structures internes de ces institutions et «se regarder dans le miroir».
Enfin, repenser nos pratiques muséales à travers le prisme de l’écoféminisme implique de considérer la dimension de justice sociale dans nos choix curatoriaux, en remettant en question les logiques productivistes qui sous-tendent souvent la sélection et la présentation des objets. Au-delà des sujets proprement écoféministes, adopter un regard nouveau et plus critique pourrait également se traduire par des modifications du parcours permanent des musées (par exemple, la salle Françoise Gilot au musée Picasso). Cela va jusqu’à imaginer un musée sans objets (Françoise Vergès, Maison des Réunionnais, 2006).
En définitive, cette première réflexion nous invite à envisager le musée comme un espace en constante évolution, où le dialogue, la diversité et l’engagement social doivent occuper une place centrale.


- Appliquer les principes écoféministes au sein du musée : une évolution organisationnelle
Lors de ce second exercice, les participants ont exploré la manière d’appliquer les principes écoféministes au sein des institutions muséales, en mettant l’accent sur une évolution organisationnelle significative. Les discussions ont mis en lumière plusieurs axes d’action.
Tout d’abord, il a été suggéré de favoriser la création de comités collectifs impliquant les acteurs locaux, permettant ainsi une prise de décision plus inclusive dans la stratégie du musée (par exemple, au sein du Kunst Palace de Düsseldorf un comité a été mis en place pour suggérer des pistes afin de rendre le musée plus attrayant et communicatif pour tous. Ce projet a été exposé dans une salle du musée.) Cette approche vise à renforcer l’engagement communautaire et à intégrer les perspectives locales dans les processus décisionnels.
Parallèlement, l’idée d’établir un bilan de l’écoféminisme, similaire au bilan carbone, a été avancée. Ce bilan servirait de référence pour évaluer les progrès réalisés en termes d’objectifs écoféministes, offrant ainsi aux institutions la possibilité de prendre du recul, de s’améliorer et de rendre compte de leurs actions. Cette démarche encourage une réflexion critique et une amélioration continue. Un point de vigilance a été émis sur la mesure de tout critère de définition écoféministe, au risque de créer des labels / étiquettes trop figés.
Une autre piste explorée concerne le mode de fonctionnement interne des musées. Il a été suggéré de promouvoir une approche de travail transversale, favorisant la collaboration entre différents services tels que la technique, la conservation et la médiation. L’objectif serait d’évaluer dans un bilan écoféministe la capacité des équipes à travailler ensemble de manière horizontale, en partageant équitablement les responsabilités et les privilèges y dérivant.
En outre, les participants ont souligné l’importance de partager la légitimité de prise de parole et de rôle, en favorisant une approche plus inclusive et horizontale : « Les musées devraient apprendre à se taire, pour mieux écouter ». Le but est de donner de la place aux autres personnes ayant un autre rapport à l’objet, à l’héritage… Par ailleurs, des principes tels que la non-mixité ont été évoqués pour favoriser une prise de parole plus libre et moins centralisée par des groupes d’employés. Par exemple, ils ont évoqué la possibilité d’adopter des pratiques telles que l’écriture collaborative des cartels (par exemple au Palais de beaux-arts de Lille, un comité d’écriture incluant des employés dans plusieurs services hors curatelle a été créé afin d’écrire les cartels): De plus, l’organisation de contre-visites ou la création d’assemblées citoyennes ou de groupes mixtes permettraient de libérer la parole, même s’il a émis un avis sur la rémunération des collectifs militants collaborant avec les musées.
Un autre aspect abordé concerne la question de la formation, de l’apprentissage et des financements. Il a été noté que les parcours universitaires actuelles sont souvent élitistes et normatives, et qu’il conviendrait de les revoir pour offrir des opportunités à des personnes issues de milieux diversifiés. L’opportunité de proposer quelque chose de nouveau doit également être garantie en interne, tout en offrant légitimité et valorisation salariale aux employés qui s’engagent. De même, la question des financements éthiques a été soulevée, remettant en question l’origine et l’utilisation des fonds dans le contexte muséal, afin de prévenir toute forme de « Culture Washing ». Finalement, limiter certains financements et contrôler le retour d’image d’autres permettrait de repenser la distribution des ressources de manière plus juste et éthique.

En conclusion, cet atelier a mis en lumière la nécessité d’une transformation profonde des pratiques muséales pour intégrer pleinement les principes écoféministes, en favorisant l’inclusion, l’intersectionnalité, des approches plus horizontales et la responsabilité sociale et environnementale.

