Entretiens

Entretien avec Stéphanie Bardel, Responsable du pôle visiteurs, Musée des beaux-arts de Rennes.

Publié le 22 novembre 2024

[ Illustration : Anonyme, Musée des Beaux-Arts de Rennes, 1889, n° inv. 956.0002.544, Photographie. Rennes, Musée de Bretagne et Ecomusée de la Bintinais. ]

Botte, Julie / Bardel, Stéphanie

Stéphanie Bardel intervenait lors de l’atelier « Mieux-être au musée : organiser et maintenir ? » durant le Festival de la Muséologie « Sobriété : innover, renoncer, ralentir » le 25 mai 2024.

Julie Botte : Pourriez-vous nous donner votre définition du mieux-être ou du care dans un musée ?

Stéphanie Bardel : Pour moi, la définition du care, c’est être bien au musée. Pour les visiteurs, le care c’est avant tout d’être bien accueillis. L’accueil des visiteurs, c’est aussi leur proposer des temps de visites ralentis, de prendre le temps devant une œuvre et de se poser, avoir des assises, des cannes-sièges et des fauteuils roulants. Le care pour les visiteurs ne peut pas se limiter à des séances d’art thérapie, de sophrologie ou de yoga, ce qui se fait énormément dans les musées depuis quelques années. C’est très bien, mais je crois que ce n’est pas suffisant. La personne ne va pas s’inscrire à une séance de yoga si elle ne se sent pas bien accueillie dans le musée ou si elle se dit que ce lieu n’est pas pour elle. Donc le care, c’est communiquer sur un musée inclusif. C’est important d’être bien accueilli quand on ose franchir les portes d’un musée des beaux-arts parce qu’il a encore une image élitiste pour des personnes qui se sentent éloignées de ce champ-là. Être bien accueilli, c’est quand vous entrez dans le musée et que le premier employé que vous voyez vous sourit et vous dit bonjour. Ce n’est pas forcément évident, notamment quand on voit l’affluence qu’il peut y avoir dans certains musées. On peut comprendre que les agents soient fatigués ou ne vous accueillent pas bien lorsqu’ils travaillent toute la journée dans un musée avec beaucoup de monde. Le care, c’est être bien accueilli pour les visiteurs et être bien à son poste pour les employés. Les deux sont liés. Je crois qu’aujourd’hui on ne peut pas réfléchir seulement au care pour les visiteurs.

J. B. : Comment avez-vous été amenée à vous intéresser à ces questions ?

S. B. : Je suis l’actualité des musées, je fais partie du réseau FRAME (FRench American Museum Exchange) et je suis les travaux de l’ICOM. Ce sont des sujets qui ont beaucoup été amenés en France par Nathalie Bondil sur la muséothérapie au Québec. En tant que responsable du pôle visiteurs, je m’occupe d’une partie accueil, médiation et programmation culturelle, donc ce sont des questions qui m’ont beaucoup intéressées. Je pense que les agents d’accueil doivent être formés à ne pas être uniquement des agents de surveillance. C’est le choix qu’on a fait dans le musée. Il n’y a pas une équipe à l’accueil et une équipe en surveillance, ce sont les mêmes personnes qui tournent sur les postes, qui peuvent être au guichet d’accueil, à la billetterie, à la boutique ou dans les salles en accueil et pas en surveillance. Cette question de surveillance peut en plus créer de l’angoisse auprès des agents vu les choses qui se passent dans les musées, comme de la soupe jetée sur certains tableaux. Les agents d’accueil peuvent être stressés en se demandant ce qu’ils feraient si cela arrive. Selon moi, il faut les rassurer dans leurs fonctions pour qu’ils se sentent bien.

J. B. : Comment est-ce que vous formez les agents ?

S. B. : Cela passe par un projet d’équipe, un projet de service et des temps d’échanges. Il faut vraiment communiquer et échanger. Cela passe par l’organisation de séminaires, d’ateliers, et par un projet de formation. Par exemple, comment accueillir une personne en situation de handicap, une personne autiste, une personne malvoyante ou non-voyante, mais aussi de jeunes enfants. Mon pôle regroupe les agents d’accueil et les médiateurs. Les médiatrices présentent aux agents d’accueil tous les dispositifs de médiation qu’elles mettent en place. Parfois, les agents d’accueil sont perturbés par des kits en autonomie que les enfants peuvent faire dans les salles. Certains se demandent si les enfants ont le droit ou pas de le faire, comme s’asseoir en tailleur ou chanter devant un tableau.

J. B. : Vous proposez des formations ciblées en fonction de situations réelles ?

S. B. : La formation n’est pas forcément avec des prestataires extérieurs. On peut parfois prendre une heure pour parler d’un sujet avec la responsable de l’accueil. Un jour, par exemple, une personne non-voyante s’est présentée à l’accueil avec son accompagnateur et l’agent d’accueil a été impoli en ne sachant pas que faire pour l’accompagner lui-même dans les salles. On a donc réuni les agents d’accueil pour leur expliquer ce qu’ils doivent faire dans cette situation.

J. B. : Vous avez organisé plusieurs formations pour savoir comment réagir en fonction des types d’handicap, physique ou mental ?

S B : On a fait une formation sur les maladies neurodégénératives (type Alzheimer). On a proposé une formation LSF (Langue des signes française) en interne sur la base du volontariat. On a une médiatrice qui pratique la LSF. La responsable de l’accueil et deux agents d’accueil se sont portés volontaires. C’est une formation de six jours, pendant laquelle la personne apprend à se présenter en langue des signes et à diriger la personne dans le musée.

J. B. : Quels obstacles avez-vous rencontrés en essayant d’améliorer le mieux-être au musée ?

S. B. : Quand on impose des formations aux agents, ils peuvent se plaindre de devoir trop en faire. Il peut y avoir des contraintes assez fortes du côté des ressources humaines. Les collections permanentes du musée sont devenues gratuites, le nombre d’agents d’accueil a diminué et le nombre de visiteurs a augmenté. Les agents d’accueil se plaignent de ne pas être assez nombreux pour bien accueillir les visiteurs. Les freins viennent parfois aussi de personnes qui ne veulent pas changer. Dans les musées, il est courant que les agents d’accueil soient en reclassement et qu’ils n’aient pas choisi leur travail. Certains prennent leur rôle de surveillant très à cœur. Les agents d’accueil sont bousculés parce qu’on leur demande plus de compétences et de répondre aux besoins spécifiques de chaque visiteur.

J. B. : Quelles évolutions avez-vous pu observer autour de cette question du mieux-être au musée ?

S. B. : Je crois qu’on a quand même réussi, on voit des changements, on a remobilisé l’équipe sur ces sujets, on les a impliqués. On présente tous les projets d’exposition et de médiation aux agents d’accueil, ils peuvent suivre les visites des médiateurs, ils font parfois des retours des visiteurs dans les salles (si quelque chose ne fonctionne pas ou si les visiteurs sont très contents). Certains se sentent utiles, c’est gratifiant pour eux. Ce sont des postes qui ont souvent été sous-estimés. Le salaire est un des freins, ce sont des postes en catégorie C. Certains agents sont là depuis trente ans, c’est difficile de garder de la motivation pendant autant d’années.

J B : Qu’est-ce que vous avez mis en place avec l’équipe de médiateurs pour améliorer leur bien-être et celui des visiteurs ?

S. B. : L’offre de médiation a été simplifiée pour qu’elle soit plus lisible. On a créé une offre pour les individuels les weekends, samedi et dimanche, et une offre vacances scolaires avec trois visites chaque jour : une visite pour les enfants le matin, une visite flash à 15h qui dure trente minutes, une visite thématique en fin de journée qui dure une heure. Chaque année, j’écris une feuille de route pour définir la priorité pour les médiateurs : définir une offre pour le grand public et revoir l’offre scolaire ; faire une offre pour les groupes d’enfants périscolaires ; renforcer l’accessibilité du musée pour le plus grand nombre, notamment les personnes en situation de handicap. Chaque médiatrice est référente pour une mission : accessibilité, éducation artistique et culturelle, champ de la solidarité, communication de l’offre. Les médiatrices travaillent un weekend sur trois. On a réussi à avoir des primes pour chaque week-end travaillé, l’élément financier est aussi une reconnaissance. Une médiatrice est également référente pour chaque exposition temporaire. Elles sont associées dès le début de l’exposition, elles assistent aux séances avec le scénographe, sur le choix des œuvres ou du parcours. J’espère que le mieux-être pour les médiatrices, c’est de se sentir valorisées dans leurs missions et d’avoir une responsabilité. Le care, c’est aussi prendre en compte les forces, les envies et les freins de chacun, les préférences en médiation (plus à l’aise dans tel domaine, avec tel public).

La prochaine exposition vient du FRAME (French American Museum Exchange) et s’appelle « Prière de toucher ! L’art et la matière ». C’est une exposition où on peut toucher les sculptures, qui sont des reproductions d’œuvres de plusieurs musées. C’est une exposition qui implique les sens, on vise un public en situation de handicap, notamment les déficients visuels. On a développé de l’audiodescription dans le musée, mais dans ce cas-ci les fac-similés des œuvres sont faits pour être touchés. On explique le sens du toucher, les matériaux, le métier de sculpteur et on touche les œuvres les yeux bandés. Tous les cartels sont en français et en braille. On a noué un partenariat avec une école d’ergothérapie pour améliorer le confort de visite (circuler avec un fauteuil roulant, toucher l’œuvre pour les non-voyants avec un chien ou une canne). Des étudiants vont venir dans l’exposition pour voir comment améliorer le confort de visite, cela nous servira aussi pour les collections permanentes.

J. B. : Vous voudriez étendre l’ergonomie à la collection permanente ?

S. B. : L’ergonomie dans un musée c’est très important, pour tous les visiteurs. On a fait une expérience dans le musée avec un centre hospitalier et des ingénieurs qui développent des fauteuils intelligents. Les fauteuils électriques détectent les pièges du musée (mises à distance, vitrines suspendues). Une expérience a été menée aussi avec des déambulateurs pour détecter les obstacles. On a deux fauteuils roulants à disposition du public. Pour les personnes en situation de handicap, les informations pratiques et la découverte des collections du musée ont été rédigées en FALC (Facile à lire et à comprendre). Pour avoir le label FALC, il faut que ce soit validé par un groupe de personnes en situation de handicap mental, il existe aussi le français facile qui n’a pas besoin de validation par un groupe. Pour chaque exposition, un livret de visite est rédigé en FALC. Jusqu’à présent, on avait un livret de visite en FALC et un livret de visite « normal ». Pour notre dernière exposition, on a fait un livret de visite uniquement en FALC. Le FALC est utile aussi pour les étrangers, les primo-arrivants et les enfants. Le FALC est une façon d’inclure un peu tout le monde.

J. B. : Qu’est-ce que vous pensez du passage du cure au care ?

S. B. : Je suis abonnée aux newsletters de Guirec Zéo qui parle beaucoup de care plutôt que de cure. Le cure, c’est le musée comme lieu pour se soigner. Je pense que c’est bien, mais ce n’est pas à nous de l’instaurer en tant que professionnels de la culture. Les expérimentations sur les prescriptions muséales, sur le musée comme lieu de soin, doivent être encadrées par des professionnels de santé. Sur le modèle québécois, on a des prescriptions muséales à Rennes. Elles ne sont pas individuelles, on passe par des institutions du soin, comme les hôpitaux. Quand les visiteurs viennent au musée avec une prescription muséale, ils sont accompagnés par leur soignant. Le musée peut être un lieu où on vient se soigner. Pour moi, le passage au care, c’est plutôt le bien-être, être bien accueilli, se sentir bien, y passer du temps (se dire qu’on avait prévu d’y passer trente minutes et finalement y rester l’après-midi parce qu’on s’y sent bien) comme au récent studio du musée du Louvre qui est un espace où il y a des fauteuils, des canapés, des prises électriques, des livres, des tables basses, des chaises, des crayons de couleur, des dessins à colorier, des activités pour les enfants. Il est aussi important d’avoir des jauges humaines acceptables pour tout le monde, les employés et les visiteurs, de renoncer à un tourisme de masse. Au musée des beaux-arts de Rennes, on s’est posé la question de créer des playlists musicales pour ne pas entendre le bruit autour. Lucie Chappé (Responsable du service des publics de Nancy-Musées chez Ville de Nancy) travaille sur l’odorat, pour créer des ambiances olfactives. Les musées sont de plus en plus des lieux d’expérimentation.

Laisser un commentaire