Entretiens

Micro-Folie : l’art et la culture au plus près des territoires. Un entretien avec Estelle Rousseau.

Publié le 13 septembre 2023

[ Illustration : George-Jacques Gatine, Paris. Elève d’une école de chant. / N°19, vers 1824, estampe, eau-forte, Paris, Musée Carnavalet, Histoire de Paris, Collection en ligne, Paris Musées ]

Depuis 2017, les Micro-Folies se sont développées sur le territoire français et même à l’international. Elles permettent d’apporter les chefs d’œuvres des musées ou des institutions culturelles au plus près des publics, dans les zones urbaines ou rurales. Autour du musée numérique, le dispositif est capable de prendre plusieurs formes et de s’adapter aux besoins : fixe, itinérance, réalité virtuelle, fablab… Découvrons cela plus en détail avec Estelle Rousseau. 

Julie Besson : Pouvez-vous vous présenter ainsi que le dispositif micro-folie ? 

Estelle Rousseau : Je suis Estelle Rousseau, chargée de l’animation du réseau national et international des Micro-Folies et j’ai en même temps la charge de l’animation transverse des différents pôles qui œuvrent au dispositif au sein de La Villette. 

Micro-Folie est un dispositif imaginé par Didier Fusillier, alors qu’il était président de La Villette, coordonné par La Villette et financé en grande partie par le Ministère de la Culture. Une Micro-Folie est en son cœur un musée numérique, qui regroupe actuellement plus de 2600 œuvres issues de l’ensemble de nos partenaires nationaux et internationaux. A ce module, d’autres peuvent être ajoutés en fonction des besoins du territoire. C’est véritablement un dispositif qui sert le territoire et ses acteurs, autant culturels que ceux qui œuvrent au projet commun d’un territoire. Les modules peuvent être un fablab, la réalité virtuelle, un espace scénique, un lieu convivial et partagé…  La Micro-Folie peut s’intégrer à un tiers-lieu, à un espace existant et venir compléter une proposition ou ce peut être une structure qui se construit autour du dispositif au sein d‘une collectivité ou d’un regroupement de collectivités, d’une association…

Pour se doter d’une Micro-Folie, il est possible de passer par les appels à projets des régions ou via des dispositifs comme Petites Villes de Demain, Politique de la Ville, les Tiers-lieux, cités éducatives, autant de dispositifs de l’Etat qui permettent d’aider financièrement les structures notamment pour l’acquisition de matériel. Pour autant, cela peut aussi être une démarche indépendante d’une structure ou d’une collectivité. 

J. B. : Le rôle du médiateur est fondamental pour la réussite du projet : quelles sont vos recommandations pour que l’animation du lieu soit pérenne ? Comment les aidez-vous à se former sur le dispositif ? 

E. R. : C’est effectivement un point important du dispositif. A partir du moment où une manifestation d’intérêt est prononcée ou un projet est déposé, les équipes territoriales sont en lien avec les équipes de la Villette : nous avons des chargés de déploiement par région, qui ont pour tâche de préfigurer la Micro-Folie avec les équipes sur place et de voir les moyens dont disposent la structure ou le territoire pour installer au mieux la Micro-Folie. Nous avons un groupement de commandes que l’on propose aux porteurs de projet et par la suite, nous avons des préconisations en termes d’achats de matériel ou d’animation. 

La Micro-Folie n’est pas qu’un logiciel à activer,il y a une donnée humaine conséquente et à prendre en compte. Pour faire vivre la Micro-Folie, le médiateur est important : nous préconisons une personne dédiée à la Micro-Folie, qui aura pour tâche d’aller à la rencontre des publics et des acteurs du territoire pour que le dispositif s’ancre dans les pratiques et devienne complémentaire aux propositions existantes. S’ancrer permet d’avoir une activité et une vie plus dense. C’est un moyen de travailler avec l’Education Nationale, c’est un outil à mobiliser pour diverses politiques publiques comme l’aménagement du territoire. Par des œuvres, des exemples de peintures, d’architecture, il est possible d’échanger avec les habitants sur ce qu’est un plan paysage, une barrière végétale, de nombreux sujets peuvent être abordés ! 

Au sein du musée numérique, des sujets et des pratiques pluridisciplinaires sont présents dans les collections ; de la science, de l’art, de l’histoire de l’art, de l’histoire du vêtement, du mobilier… Il faut pour cela une personne à même d’appréhender tous les contenus. Il s’agit avant tout d’une volonté d’aller vers, d’être une passerelle entre les œuvres du musée numérique et le public. Cela demande du temps : de préparation et de face à face avec le public. 

Nous formons les médiateurs à la prise en main du dispositif : la formation dure deux jours et est proposée gratuitement par La Villette. Nous avons également des formateurs qui se déplacent quand une Micro-Folie souhaite être équipée d’un kit mobile en prêt. Ils forment les équipes. Nous avons une plateforme collaborative qui permet de recueillir ce que les Micro-Folies partagent. Elle est alimentée autant par les Micro-Folies que par La Villette et les contenus de nos partenaires comme la Fondation Orange, le musée du Quai Branly…   

J. B. : Oeuvres d’arts, spectacles, films… Pouvez-vous nous en dire plus sur les contenus à disposition ? 

E. R. : Nous avons neuf collections pour le moment, une dixième sort le 14 septembre : la Collection Corse. Elles sont composées d’œuvres d’arts, d’éléments de vie quotidienne – notamment des skis dans la Collection Québec -, des demeures remarquables, des jardins. Toutes les formes d’expression artistique sont présentes, nous avons des extraits de spectacles mais nous avons également des spectacles en entier, des opéras, des ballets, qui sont diffusables depuis la Micro-Folie. Avec la Micro-Folie mobile, nous pouvons diffuser un opéra dans un petit village ! C’est tout le principe de Micro-Folie que de pouvoir proposer toutes les formes d’expression artistique au travers d’un vidéo projecteur et d’un écran. 

Ces collections sont alimentées régulièrement puisque nous avons de nouveaux contenus qui sont proposés. J’évoquais le Quai-Branly précédemment, grâce au renouvellement de la convention qui nous lie, nous disposons de quatre nouvelles œuvres et un parcours en réalité virtuelle. Nous avons un partenariat avec Arte qui nous met à disposition du contenu en exclusivité pour les Micro-Folies et parfois même du contenu en avant-première, avant diffusion en télévision. Nous avons eu Picasso, Sarah Bernhardt…  Prochainement, nous aurons Nicolas de Staël à l’honneur. 

Nous avons également une soirée exceptionnelle chaque fin d’année – en 2023, ce sera le 15 décembre – où on propose une soirée avec l’Opéra national de Paris. Le 15 décembre à partir de 20h, Le songe d’une nuit d’été sera diffusable dans toutes les Micro-Folies. A ce jour, nous avons cinq spectacles et nous en obtenons d’autres au travers de nos partenariats. 

Lors de la sortie de chaque collection, un catalogue assorti permet de voir des œuvres complémentaires du Musée Numérique, des propositions de médiations, des liens avec les sites Internet des musées et nous permet d’être complémentaire et d’inciter à aller au musée. C’est un des objectifs des Micro-Folies, de donner envie d’aller au musée et de tisser des liens. 

Nous essayons de prévenir les médiateurs suffisamment en amont de nos événements pour qu’ils puissent être programmés sur le territoire. Nous avons beaucoup de sollicitations des services culturels et nous essayons d’être réactifs et de réagir rapidement à la proposition d’un partenaire mais nous sommes aussi tributaires des temporalités de chacun. Nous essayons de faire que chacun se rencontre et de trouver les bons moments pour mettre à disposition ce que nous proposent nos partenaires. 

Nous accompagnons également sur l’aspect communication autour des événements. Notre service communication fournit des patterns pour faciliter le travail des Micro-Folies qui n’ont pas de service communication. Elles peuvent utiliser des modèles et des fiches pré-remplies pour communiquer. Nos partenaires proposent également des formations, autour des mallettes pédagogiques de la RMN, qui sont offertes aux Micro-Folies, de la boite “Culture(s) en partage” proposée par l’Institut du Monde Arabe et le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, de la mallette “Boite à voyages” du musée du Quai-Branly jacques Chirac. Ces mallettes sont pertinentes à utiliser avec tous types de publics. Le Louvre nous permet aussi d’accéder à leurs formations en ligne pour les médiateurs des Micro-Folies. 

J. B. : Comment faites-vous vivre le réseau des micro-folies ? 

E. R. : En interne, nous avons créé les Rendez-vous Web du réseau, qui sont des rendez-vous en distanciel. Nous proposons des moments d’échanges sous différents formats. Lors des Micro-Visios, deux ou trois Micro-Folies se font témoins et ambassadeurs d’une thématique et présentent leur expérience aux autres. Par exemple,  comment organiser un Micro-Festival, comment accueillir des artistes, comment programmer, comment faire la démarche de production… Nos services production et juridique accompagnent la mise en œuvre de ces Micro-Festivals et répondent aux questions qui pourraient survenir pendant ce live ou à posteriori dans la FAQ . Tous nos pôles oeuvrent, à tout moment et pas seulement lors de la signature. 

Nous avons également le format “30 minutes pour …” comprendre, pour interroger ou découvrir, une période, un artiste, une collection.

Nous réfléchissons à d’autres formats pour la rentrée ! Nous sommes sans cesse en volonté de proposer de nouveaux outils pour répondre aux multiples besoins des Micro-Folies. 

La vie du réseau c’est aussi des rencontres régionales orchestrées par les chargés de déploiement. Au travers de ces rencontres, les thématiques abordées sont choisies par les Micro-Folies de la région. Par exemple, en région Auvergne-Rhône-Alpes, on peut avoir des villes très urbaines et dotés d’équipements ainsi que des villages et une ruralité importante. Cela amène des particularités et des spécificités pour faire venir le public en termes de mobilité et d’accessibilité aux propositions faites. On peut donc avoir les mêmes thématiques comme la mobilité et l’accessibilité pour lesquelles les approches seront différentes en fonction des Micro-Folies, urbaines ou rurales. On peut aborder ces sujets là tout comme comment faire fonctionner son fablab, quelles animations pour une tranche d’âge, quelle réactivité sur des sujets d’actualité, comment traiter de la violence, de l’égalité femme-homme… Nous accompagnons avec possiblement les interventions d’experts sur le sujet. 

J. B. : Le dispositif peut être implanté en un lieu ou mobile sur plusieurs communes : quels sont les retours que vous avez pour ceux qui font le choix de la mobilité ? 

E. R. : Je peux d’autant plus vous en parler qu’avant d’intégrer les équipes de La Villette, je gérais une Micro-Folie itinérante. Il s’agissait de la première Micro-Folie itinérante. Elle a été portée par une agglomération. En effet, il apparaissait légitime que l’ensemble des maires de l’agglomération souhaitent bénéficier du dispositif. Quand le dispositif est installé dans une commune, c’est inévitablement les habitants et les services de cette commune qui en ont le plus facilement accès. Quand on sait que la mobilité est un sujet autant pour le monde rural que les villes, la solution de l’itinérance permet de se déplacer au gré d’une programmation plus globale et dans les territoires les plus éloignés. C’est une opportunité pour les territoires que de pouvoir choisir la forme la plus pertinente au regard de leurs besoins.. 

Le fait d’avoir un modèle itinérant permet aussi à une commune de déplacer le dispositif dans différents équipements : une école, un foyer de résidence pour personnes âgées,  une structure sociale, un espace culturel… en fonction des besoins et des programmations. 

Lorsque l’on travaille avec la jeunesse, installer la Micro-Folie dans la structure jeunesse peut permettre de faire venir plus facilement le public jeune dans l’espace culturel par la suite. Une Micro-Folie dans une école, c’est changer l’image de l’école et c’est montrer que les interlocuteurs peuvent trouver un intérêt à rentrer dans les écoles et trouver d’autres manières éducatives et pédagogiques d’aborder des sujets. C’est la pédagogie du détour. 

J. B. Depuis 2017, de nombreuses Micro-Folies se sont installées sur le territoire français et même à l’étranger, l’objectif est de parvenir à 1000.

E. R. : En devenant Politique Prioritaire du Gouvernement (PPG), nous avons l’objectif  de 700 Micro-Folies ouvertes en 2025. Nous en sommes à plus de 400 actuellement avec plus de 450 projets en cours (en état de préfiguration ou avant inauguration). Nous avons en moyenne deux à trois inaugurations par semaine. Elles sont pilotées par les chargés de déploiement et les référents du dispositif sur le territoire que peuvent être la DRAC et/ou les préfectures. Les services déconcentrés de l’Etat œuvrent à faciliter l’implantation du dispositif. Le passage en PPG pose également des objectifs sur le nombre de collections à proposer, en moyenne 4 par an, ainsi que sur des contenus d’animations évoqués tout à l’heure.  

J.B. :  Y a t-il des territoires que vous visez plus particulièrement maintenant ?  

E. R. : Certains territoires se trouvent être moins dotés. Cela se justifie par une volonté territoriale peut-être plus nuancée. Par exemple, la région Auvergne-Rhône-Alpes est fortement dotée de part une ambition du conseil régional d’accompagner le déploiement de ce dispositif, par des appels à projets chaque année. La Normandie est bien dotée avec un réseau qui fonctionne plutôt bien. Nous avons également la région Ile-de-France qui est particulièrement ciblée pour être dotée et un déploiement soutenu, prévu dans les villes de la métropole du Grand-Paris, la Nouvelle-Aquitaine, territoire vaste est plutôt bien doté également. Globalement, toutes les régions sont bien dotées, nous avons également des Micro-Folies dans les territoires ultra-marins et le déploiement à l’international comme en Afrique et en Australie se poursuit. Nous avons inauguré la Micro-Folie de Brisbane en juillet et d’autres sont à venir. 

J. B. : Travaillez-vous en collaboration avec le réseau diplomatique français pour les Micro-Folies à l’international ? 

E. R. : C’est un travail effectivement mené en lien avec le Ministère des Affaires étrangères. Nous avons des partenariats avec les alliances françaises et les instituts français assez importants. Il y a également des structures qui se dotent d’une Micro-Folie sans forcément que le projet soit porté par un institut français. 

J. B. : Avez-vous des exemples marquants du dispositif ? 

E. R. : Nous avons des Micro-Folies un peu insolites, comme une micro-folie dans un bateau qui fait le tour des îles du Ponant, c’est extraordinaire et surprenant pour un dispositif culturel ! 

La fréquentation des Micro-Folies a été intéressante à regarder au moment de la crise sanitaire et des confinements puisque toutes les Micro-Folies itinérantes pouvaient aller à la rencontre du public, amener l’art au plus près des habitants et apporter des beaux moments dans une période terne. Elles permettaient d’avoir des œuvres du monde entier sans bouger de la salle de classe ou de la salle polyvalente d’un établissement, avec de très petites jauges mais de nombreuses médiations. 

Nous avons des groupes qui peuvent se déplacer à l’opéra au travers de projets et de partenariats avec l’Opéra national de Paris. Des Micro-Folies accueillent des intervenants du Musée du Quai Branly, au titre de l’activité hors-les-murs du musée. Certaines Micro-Folies proposent des cycles en lien avec les contenus mis à disposition par notre partenaire Arte.  Le partenariat avec Ubisoft permet de proposer aux Micro-Folies environnantes de co-construire des actions avec leurs studios à Bordeaux notamment à l’occasion d’une exposition sur le nouveau Assassin’s Creed en octobre. Cela permet à aux Micro-Folies d’appuyer leur programmation à cet événement. 

C’est important qu’au travers de ce dispositif les publics puissent accéder à des œuvres d’art du monde entier, découvrir les chefs d’œuvres et les trésors patrimoniaux. C’est amener au plus près et rendre accessible à tous, tout ce qui pourrait paraître réservé qu’à quelques-uns. C’est rendre possible et envisageable que la créativité se déploie partout où il y a de l’envie et de l’énergie. Les Micro-Folies sont un lieu particulier, car on s’y sent autorisé à dire ce qu’on ressent d’une œuvre et à pratiquer au travers des fablabs ou des activités proposés par les médiateurs. Partout, cela fait du bien d’accéder au beau, quelque soit la notion qu’on puisse en avoir. C’est pour cela aussi que nous proposons des collections pluridisciplinaires, pour que chacun puisse se retrouver, que l’on aime la porcelaine, les demeures royales, le mobilier ancien ou qu’on soit davantage inspiré par la création contemporaine, le théâtre ou l’art numérique … Nous avons des collections régionales qui mettent en avant les trésors régionaux, pour montrer aussi que la culture n’est pas qu’à Paris ou dans les grandes villes, ni réservée à certains, elle est accessible à tous. 

J. B. : Pouvez-vous nous en dire plus sur les collections régionales ? 

E. R. : Ces collections sont constituées avec les DRAC, soit le service a été externalisé, soit elles ont elles-mêmes organisé la collecte des œuvres auprès des équipements culturels du territoire. Vient ensuite un travail de sélection des œuvres en lien avec les établissements, la DRAC et le responsable de programmation des collections à La Villette. C’est un travail de concertation, de consultation et d’échanges pour se mettre d’accord sur les œuvres retenues dans la collection. La ligne éditoriale d’une Collection se doit de convenir à toutes les Micro-Folies du réseau tant national qu’ international. Le travail de montage est ensuite confié à un prestataire pour la réalisation du film de la collection. Nous réalisons également un catalogue de Collection rassemblant les œuvres visibles dans le film ainsi que les œuvres complémentaires accessibles depuis la tablette.  

Le lancement d’une Collection fait toujours l’objet d’un événement. Nous allons présenter la collection Corse le jeudi 14 septembre au musée de Bastia. Pour la collection Centre-Val-de-Loire, nous avons un événement assez majeur à venir. Il aura lieu au Château de Chambord le 19 octobre. Ce sera pour nous l’occasion de rassembler le réseau national des Micro-Folies. Un autre grand moment en perspective.

Pour citer cet article : BESSON, Julie. 2023. Micro-Folie : l’art et la culture au plus près des territoires. Un entretien avec Estelle Rousseau., publié le 13 septembre 2023. Disponible sur :

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