Entretiens

Innover par les projets Erasmus +. Un entretien avec Alexia Sonnois, Cap Sciences.

[Illustration : Albrecht Dürer, Erasme de Rotterdam, (Bartsch 107), 1526, Paris, Petit Palais, Collection en ligne, Paris Musées ]

Besson, Julie / Sonnois, Alexia

Erasmus + est un programme de l’Union européenne qui vise à soutenir des actions dans le domaine de l’enseignement, de la formation, de la jeunesse et du sport pour la période 2021 – 2027. Il permet de financer des actions de mobilité des personnels, des élèves et des jeunes, des projets de partenariats, des actions pour soutenir l’élaboration des politiques éducatives et promouvoir la citoyenneté européenne. Structuré autour de 4 actions clés, le programme concerne de nombreux acteurs, dont ceux du domaine culturel. En effet, cela concerne tant des mobilités que des projets de coopération structurants entre homologues européens. Ce sont ces derniers que nous traitons dans cet article.

Récemment arrivée sur les missions de coopération européennes à Cap Sciences (Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle à Bordeaux) , Alexia Sonnois, responsable Mission Inclusion et Innovation sociale, nous a accordé cet entretien pour en découvrir plus sur les projets Erasmus + en cours à Cap Sciences et les bénéfices de ces coopérations pour les institutions culturelles.

Julie Besson : Quels sont les projets européens sur lesquels travaille Cap Sciences et notamment, les projets Erasmus + en cours ?

Alexia Sonnois : Dernièrement, nous avons eu deux projets Horizon 2020 et 2022, portés par des partenaires universitaires. Ils s’agissaient de projets de recherche. 

Nous menons des projets Erasmus + depuis bientôt 10 ans, avec des projets comme Creative School et Creative Museum. Nous avons deux projets actuellement en cours : 

  • REEFAB, qui vient de débuter. L’enjeu est de travailler au renouvellement des fablabs dans un contexte changeant, de nouveaux métiers et impacté par le changement climatique. Il s’agit de voir comment ces espaces peuvent trouver leur place dans les écosystèmes en cours et comment peuvent-ils engager la jeunesse dans des projections positives et constructives pour le futur à travers des métiers nouveaux et émergents. Les secteurs peuvent être ceux du réemploi à travers la question des matériaux, des constructions… Les partenaires sont issus du monde des fablabs, du design et également du secteur jeunesse.
  • I MOVE, commencé en novembre 2021 et qui se termine en juillet. Il a pour objectif de créer des outils à destination des acteurs culturels pour faire évoluer les pratiques et tendre vers plus d’inclusion dans les structures culturelles. Dans le cadre de ce projet, nous avons développé un scanner pour les acteurs culturels : 20 questions qui permettent de passer au crible n’importe quel événement (exposition, atelier, pièce de théâtre…) et tendre vers plus d’inclusion. Nous avons également un kit de formation et un livre blanc destiné aux décisionnaires et élus des sites culturels autour de ces enjeux. Les outils ont été conçus par des centres de science (Cap Sciences, VSC – réseau des centres de sciences des Pays-Bas et Ciencia Viva do Algarve) ainsi que de la commune de Reggio Emilia en Italie à travers ses sites patrimoniaux et historiques.

J. B. : Depuis presque 10 ans de projets Erasmus +, quelles sont les opportunités de ce type de projet ?

A. S. : Pour moi, l’intérêt de ces projets réside bien sûr dans la coopération européenne, qui permet d’échanger sur des pratiques et découvrir des points de vue différents mais également dans la possibilité de développer une démarche sur le moyen et long-terme. Ces projets permettent d’avoir du temps pour concevoir les outils qui vont accompagner la structure. Ils donnent une impulsion.

La durée peut être plus courte, mais nous travaillons surtout sur des projets d’une durée de 2 à 3 ans. Ils permettent de s’approprier la dynamique et d’inscrire cette dernière dans la structure. Par exemple, avec le projet I MOVE, nous allons réaliser des outils qui doivent et peuvent être utilisés au quotidien. A l’intérieur de notre structure, cela commence à être le cas. Nous commençons à percevoir les impacts et nous utilisons les outils que nous avons conçus au quotidien.

Le projet vient soutenir une démarche initiée. Nous aurions pu faire seuls, peut-être plus vite mais avec moins d’expertise partagée. Nous n’avons pas travaillé qu’avec nos seules forces, nous travaillons avec d’autres partenaires et nos outils sont plus solides, car passés au crible de différentes structures et professionnels. 

Pour REEFAB, bien que nous ne soyons qu’au début du projet, l’idée est de travailler via des partenariats, sur un projet qui s’étale trois ans. Nous avons donc le temps de travailler avec les partenaires, qui continueront sur le long terme. Profiter de ce financement permet de renforcer les écosystèmes, notamment pour ce projet. Cela bénéficie à l’ensemble des partenaires impliqués et de l’écosystème des fablabs. 

Les projets Erasmus+ amènent cette durabilité le temps du projet grâce à un financement conséquent, qui peut être abondé par de l’autofinancement. La construction même des projets implique de réfléchir à leur impact, leur durabilité et leur dissémination. Les projets ne passent le crible de la validation que si les actions sont estimées durables et avec un potentiel de pérennité pour les structures et au-delà. Ils viennent soutenir une démarche de la structure pour se développer. 

J. B. : Quelles sont les ressources nécessaires (humaines, financières, temps…) pour se lancer sur ce type de projet ?

A. S. : Auparavant, ma collègue chargée des projets européens était mobilisée sur les projets une partie de son temps. C’était une personne avec plusieurs années d’expertise sur le suivi et dépôt des projets Erasmus +. 

Je vois bien à quel point en termes de ressources, cela demande une connaissance de l’environnement des projets Erasmus + / européens. Il est possible à tous de rentrer dans cet environnement, mais déposer un dossier demande de décrypter les questions, comprendre comment y répondre. L’expertise – y compris d’évaluer des projets – permet d’avoir une idée des attendus, des enjeux de chaque question. 

Les agences nationales accompagnent de plus en plus les porteurs de projet, y compris sur des petits projets de coopération, pour faciliter l’intégration de nouveaux porteurs de projets. En effet, une fois entré dans les projets, il est plus évident de déposer de nouveaux projets. Je pense qu’ils sont aussi sensibles à avoir des consortiums qui mélangent des organisations, pour intégrer des nouveaux acteurs et leur permettre de connaître les projets Erasmus +. 

Déposer un dossier demande beaucoup de temps de travail : le projet doit déjà être assez mûr avec des étapes précises de réalisation. Il faut s’y prendre minimum 6 mois à l’avance – sans être à temps plein – pour préparer le projet, monter le consortium, rédiger le dossier…C’est un point qui peut-être bloquant sur les gros projets, car cela demande d’avoir la capacité à passer du temps sur le projet, sans savoir si ce dernier sera financé. 

Il est important si l’on souhaite rentrer dans les projets européens de contacter les agences, qui font des webinaires, des réunions d’informations et sont des soutiens. Les agences accompagnent également les équipes dans les processus. 

J. B. : Pourquoi l’institution a-t-elle décidé de s’engager dans des projets européens de manière régulière ?

A. S. : C’est une volonté interne de développer une dimension européenne pour la structure via les projets. Nous essayons également de nous ouvrir à d’autres programmes si on le peut, de les connaitre et découvrir leurs spécificités. Cap Sciences a eu cette envie de s’ouvrir à cette dimension européenne et internationale, qui ouvre des pistes d’innovations, de nouveaux exemples, de nouvelles façons de faire et permet de monter des projets.

Nous faisons également partie du réseau européen des centres de sciences ECSITE depuis longtemps. Je travaille également dans un groupe européen de partenaires professionnels sur les sujets d’inclusion. Ce sont des opportunités enrichissantes pour échanger et rencontrer les autres structures.

J. B. : Des bonnes raisons de s’engager sur des projets Erasmus + ?

A. S.

  • Les financements permettent de consolider des projets, qui n’aurait pu être développé de cette manière sans un projet Erasmus + ;
  • Les projets nécessitent de la rigueur, de l’exercice et de la discipline : ils amènent des réflexions, des questions sur les projets, leurs impacts, leur partage, la dissémination des résultats. Travailler en commun amène un état d’esprit intéressant ; 
  • Ils permettent de soutenir des mouvements, des impulsions sur le moyen terme, ce qui est structurant pour l’institution.

J. B. : Des conseils pour les lieux culturels qui souhaitent mener ce type de projet ?

A. S. : Nouvellement arrivée sur ces missions,voici mes idées de conseils, sans prétendre être la personne la plus adaptée pour cette question. 

Il est important de prendre contact avec les agences, avec les personnes référentes sur les programmes. Ils ont les meilleurs conseils pour orienter les porteurs de projets, faire le point sur les idées, la deadline, donner des informations. J’ai déposé il y a peu un projet sur un autre programme, la personne référente nous a aidé et nous a permis d’améliorer la qualité de notre projet, qui aurait été moindre sans ces conseils. 

Si les institutions ont l’occasion, il est intéressant de s’intégrer dans les réseaux européens pour rencontrer d’autres institutions, voir les différences, identifier les complémentarités. C’est aussi cela la coopération européenne : découvrir d’autres façons de penser et c’est enrichissant. Cela permet d’innover.

Je recommanderai aussi de ne pas viser un projet déconnecté de son activité. Il faut que le projet soit en accord avec l’organisation, il sera ainsi plus facile à argumenter, à soutenir et le développement sera cohérent.

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